Cohen, Peter, & Arjan Sas (1994), Usages de cocaïne chez les consommateurs insérés a Amsterdam In: Ehrenberg, Alain (Ed.) (1996), Vivre avec les drogues. Régulations, politiques, marchés, usages. Paris, Centre d'Études Transdisciplinaires (CETSAH), Éditions du Seuil. pp. 195-221. French translation by Martine Lacaze.
© Copyright 1994, 1996 Peter Cohen & Arjan Sas. All rights reserved.

[English]

Usages de cocaïne chez les consommateurs insérés a Amsterdam[1]

Peter Cohen & Arjan Sas

Entre 1987 et 1991, nous avons étudié l'usage de cocaïne à Amsterdam, dans le cadre de trois projets. Le premier, en 1987, était constitué de 160 entretiens approfondis d'usagers expérimentés (Cohen 1989), le second de 64 personnes de ce groupe initial que nous avons réinterrogées en 1991, le troisième, encore en 1991, de 108 nouveaux usagers interrogées à l'aide du questionnaire de 1987. Ces "nouveaux usagers" ont commencé l'usage régulier de la cocaïne après 1986 (Cohen et Sas 1995). Après avoir expliqué la visée méthodologique, le texte qui suit décrit quelques uns des résultats qui nous semblent les plus importants.

Méthodologie

Étant donné le nombre de travaux déjà publiés sur l'usage de cocaïne parmi des échantillons de population spécifiques -personnes en prison, en traitement médical ou après appel à un service d'assistance téléphonique d'urgence-, nous avons préféré nous intéresser aux usagers de cocaïne insérés dans la collectivité. Nous voulions recruter ces usagers en dehors des institutions de contrôle et de traitement au moyen de la méthode dite boule de neige. Nous voulions également savoir quels effets et quelles conséquences de l'usage de cocaïne apparaîtraient chez des citoyens ordinaires ou aussi proches que possible de ce statut[2]. Nous ne voulions pas non plus recruter nos premiers contacts de l'effet "boule de neige" parmi les sous-groupes fortement déviants et facile à trouver, tels que les prostitués, ceux qu'on appelle les junkies (surtout de grands consommateurs d'héroïne qui consomment également de la cocaïne), les délinquants détenus. Nous craignions que ce genre de déviance ne vienne biaiser nos conclusions sur l'influence de la cocaïne sur la vie de tous les jours.

En 1987, le critère d'entrée dans la recherche des usagers de cocaïne expérimentés était un minimum de 25 prises de cocaïne au cours de l'existence. Nos premiers contacts étaient des usagers connus du personnel de recherche et des enquêteurs de l'organisme qui exécutaient le travail sur le terrain. Nous leur avons demandé de dresser une liste d'au maximum 20 usagers de cocaïne qu'ils connaissaient, en donnant les initiales de leurs noms, leur sexe et leur âge. L'enquêteur a sélectionné au hasard dans cette liste deux personnes susceptibles d'être interrogées[3]. Nous avons demandé à la personne informatrice de prendre contact avec le premier individu sélectionné, de lui demander s'il voulait bien participer, et s'il donnait la permission de communiquer son nom et son adresse complète à l'enquêteur. Si le premier individu sélectionné refusait (ce qui fut rarement le cas), ou bien s'il ne venait pas au rendez-vous (ce qui arriva plus souvent), nous nous tournions alors vers le second individu sélectionné. Une liste nominative devait être abandonnée après deux tentatives infructueuses de sélection. Par la suite nous sommes passés à quatre tentatives. Nous avons ainsi réussi à interroger 160 usagers de cocaïne expérimentés.

En 1991, notre objectif était de trouver 120 nouveaux usagers d'une génération plus jeune, qui avaient commencé l'usage de la cocaïne à une époque où elle avait une connotation plus négative. La condition d'entrée dans l'échantillon était d'au moins dix prises de cocaïne après 1986 (78% en avait consommé plus de 25 fois). Nous avons établi nos premiers contacts principalement en passant des annonces dans la presse écrite, la radio et la télévision en nous adressant aux personnes déjà interrogées en 1987, et par une recherche individuelle menée par nos enquêteurs. Nous avons obtenu 108 entretiens.

Tableau 1a. Différenciation des revenus dans les échantillons de 1987 et de 1991

1987 1991
revenus nets par mois
n % n %

inférieurs à Fl.1.000 22 14 15 14
Fl.1.000-1.500 54 34 38 35
Fl.1.500-2.000 33 21 21 19
Fl.2.000-2.500 17 11 13 12
Fl.2.500-3.000 17 11 10 9
Fl.3.000-4.000 10 6 7 6
Fl.4.000-5.000 2 1 3 3
Fl.5.000-6.000 1 1 1 1
supérieurs à Fl.6.000 4 3 - -

total 160 100 108 100

moyenne Fl.1.902 Fl.1.813

t=0,68, df=258,61, n.s. (variance estimée séparée)


Tableau 1b. Niveau de consommation de cocaïne à trois périodes données dans l'échantillon de 1987 et dans celui de 1991

première année de consommation régulière période d'usage maximal les trois derniers mois
niveau de consommation 1987 1991 1987 1991 1987 1991
de cocaïne n % n % n % n % n % n %

nul - - - - - - - - 44 28 28 26
faible 143 89 88 81 77 48 57 53 103 64 65 60
moyen 13 8 16 15 49 31 33 31 10 6 10 9
élevé 4 3 2 2 33 21 17 16 3 2 4 4
inconnu - - 2 2 1 1 1 1 - - 1 1

total 160 100 108 100 160 100 108 100 160 100 108 100

Loi de Student
t=-0,63, df=138,12, n.s.
t=-0,32, df=167,04, n.s.
t=-0,78, df=146,78, n.s.
(variance estimée séparée, F=4,24, p<0,001)
(variance estimée séparée, F=2,32, p<0,001)
(variance estimée séparée, F=3,50, p<0,001)


Pour chacune de ces deux années, nous avons pu comparer nos échantillons sélectionnés par la méthode boule de neige avec des usagers de cocaïne trouvés dans des échantillons de probabilité complètement différents, résultant des recherches sur les ménages effectuées à Amsterdam durant les mêmes années. En 1987, nous avons comparé notre échantillon de 160 individus avec 68 usagers d'une enquête sur les ménages de 1987 faite en population générale, usagers qui déclaraient avoir consommé de la cocaïne pendant les douze mois précédant l'entretien[4]. En 1991, nous avons comparé notre échantillon avec 61 usagers tirés d'une enquête sur les ménages de 1990, qui déclaraient avoir commencé l'usage de cocaïne après 1985. La comparaison de nos propres échantillons sur des variables telles que l'âge, le sexe, l'éducation, la nationalité, la profession et les revenus avec les échantillons de référence des enquêtes sur les ménages, n'a pas montré de différence significative. Les résultats obtenus peuvent donc être considérés comme représentatifs des usagers de cocaïne insérés dans la collectivité à Amsterdam.

Nous avons pris nos deux échantillons à quatre ans d'intervalle pour voir si nous avions affaire aux mêmes genres de personnes. D'une manière générale, les usagers de 1987 s'étaient initiés à la cocaïne aux environs de 1980 (quand il était chic de prendre de la cocaïne et qu'elle était considérée comme une drogue d'élite). En 1991, nous avons limité l'entrée dans notre recherche à des usagers ayant commencé leur consommation régulière après 1986, car nous espérions pouvoir déceler des changements dans les caractéristiques démographiques des personnes interrogées, qui seraient dus à une image plus récente de la cocaïne en tant que drogue dangereuse. Nous espérions également savoir si les modèles d'usage avaient changé, indépendamment du type d'usager.

Nous avons été surpris de constater à quel point les deux groupes étaient similaires. Dans chacun des échantillons les usagers sont mieux éduqués que la moyenne de leur âge, plus de 80% ont entre 20 et 35 ans, ils sont célibataires, ont beaucoup plus d'expérience de l'usage des drogues illicites que la moyenne de leur âge, et sont plus sociables et extravertis. La moitié des usagers des deux échantillons n'a jamais pris plus de 0,5 gramme par semaine, même pendant les périodes de consommation maximale. Seulement 20% d'entre eux atteignent des consommations élevées (supérieures à 2,5 grammes par semaine) pendant les périodes de consommation maximale. Ils ont rarement maintenu une telle consommation entre la période de consommation maximale et celle de l'enquête. Nous avons réuni les résultats des deux enquêtes dans une seule base de données, prenant ainsi en compte 268 usagers.

Nous présenterons tout d'abord les données les plus significatives des 268 usagers de cocaïne expérimentés. Aux données démographiques et de style de vie viendront s'ajouter des détails sur les carrières d'usage de cocaïne, depuis l'initiation à la drogue, ainsi que sur les effets et les conséquences de l'usage de cocaïne. Ensuite, nous présenterons des données similaires concernant les 64 usagers de cocaïne de l'échantillon de 1987 que nous avons réinterrogés en 1991. Enfin nous conclurons par quelques remarques d'ordre général sur l'usage de cocaïne à Amsterdam, en particulier sur les mécanismes de contrôle qui semblent jouer un rôle dans la façon dont les usagers de cocaïne évitent ou surmontent les effets négatifs dus à cette substance.

Caractéristiques des consommateurs de cocaïne insérés à Amsterdam

L'âge des usagers habituels recrutés (tableau 2) ne diffère pas de celui des usagers de cocaïne échantillonnés dans les enquêtes sur les ménages à Amsterdam en 1987 et 1990. L'usage de cocaïne est fortement corrélé à l'âge : il est rare chez les moins de 20 ans et les plus de 40 ans, plus de la moitié de ces usagers ont entre 26 et 35 ans, 87% d'entre eux sont nés aux Pays-Bas et 57% sont des hommes. Le niveau d'études (tableau 3) est assez élevé, comme dans les enquêtes sur les ménages. Leurs activités professionnelles sont variées. On distingue les grands sous-groupes suivants : étudiants (15%), artistes et professions liées au milieu artistique (24%), professions libérales et cadres supérieurs (15%), employés des services (20%), personnel d'hôtellerie (10%). Nous n'avons pas de données pour 9% de l'échantillon. 60% ont déclaré travailler à plein temps ou à mi-temps lors de l'enquête. Le pourcentage restant tire ses revenus de l'assurance chômage, de bourses d'études, d'un travail intermittent dans le bâtiment ou les services de réparation, d'économies personnelles ou d'allocations.


Tableau 2. Age des personnes interrogées

âge n %

moins de 20 ans 3 1,1
20 - 25 ans 71 26,5
26 - 30 ans 97 36,2
31 - 35 ans 58 21,6
36 - 40 ans 27 10,1
plus de 40 ans 12 4,5

total 268 100,0

moyenne = 29,2; médiane = 28,0


Tableau 3. Education des personnes interrogées

éducation n %

école primaire 7 2,6
collège professionnel 6 2,2
collège d'enseignement général 29 10,8
lycée professionnel 20 7,5
lycée d'enseignement général 49 18,3
B.T.S. 75 28,0
études supérieures 82 30,6

total 268 100,0



La plupart des personnes interrogées vivent seules et un très petit nombre d'entre elles ont des enfants sous leur toit. A peine plus de 25% vivent en concubinage, alors que 60% déclarent avoir un partenaire. En général les usagers de cocaïne expérimentés sont des célibataires. 14% d'entre eux seulement ont déjà été mariés. Le revenu moyen net des personnes interrogées est d'environ 5600 frcs par mois, et 20% ont des revenus supérieurs à 7500 frcs. Le groupe appartenant à l'échelle supérieure des salaires (plus de 12.000 frcs par mois) constitue 4% de l'échantillon et celui appartenant à l'échelle inférieure (3000 frcs par mois) 14%. La répartition des salaires ne diffère pas, dans la tranche d'âge correspondante, de la population échantillonnée de l'enquête sur les ménages. Ces chiffres montrent que l'usage de cocaïne n'est absolument pas limité aux couches des hauts ou des bas salaires, mais qu'il se distribue au contraire de façon équilibrée.


Tableau 4. Situation familiale des personnes interrogées

n %

vivant seul(e) 175 65,3
vivant avec un(e) partenaire 69 25,7
parent célibataire 6 2,2
vivant en communauté 9 3,4
chez ses parents 2 0,7
autre 7 2,6

total 268 100,0



Les usagers échantillonné en 1987 et 1991 ont aussi eu des expériences avec d'autres drogues, si nous les comparons, dans l'enquête sur les ménages, avec la tranche d'âge des 18-53 ans (la fourchette des âges dans nos échantillons d'usagers de cocaïne). Ainsi que le montre le tableau 5, pratiquement tous les usagers de cocaïne ont consommé du cannabis, et presque 40% d'entre eux ont eu des expériences avec les opiacés et le LSD.


Tableau 5. Prévalence des drogues au cours de la vie dans l¹échantillon des usagers de cocaïne (N=268) et dans la tranche d¹âge des 18-53 ans de l¹enquête sur les ménages de 1990 (N=2.922)

prévalence au cours usagers de cocaïne tranche d'âge
de la vie (PCV) n % n %

tabac 260 97,0 2.094 71,7
cannabis 248 92,5 1.043 35,7
alcool 263 98,1 2.584 88,4
LSD 103 38,4 177 6,1
opiacés (licites inclus) 102 38,1 239 8,2
somnifères 73 27,2 590 20,2
sédatifs 70 26,1 476 16,3
éther 24 9,0 40 1,4
MDMA* 68 63,0 55 1,9
amphétamines* 62 57,4 178 6,1
cocaïne 268 100,0 241 8,2

* Les données sur la PCV du MDMA et des amphétamines dans l'eacute;chantillon des usagers de cocaïne ne sont disponibles que pour les "nouveaux usagers" (N=108)

Les traits spécifiques des usages de cocaïne

Initiation et évolution du niveau de consommation dans le temps. L'âge moyen d'initiation est de 22,2 ans, bien qu'une importante minorité (33,2%) s'y initie avant l'âge de 20 ans. Presque un quart de l'échantillon (23,7%) a pris de la cocaïne pour la première fois après l'âge de 25 ans ; toutefois, l'initiation au-delà de 35 ans est rare (2,6%). En moyenne, la carrière des personnes interrogées est de 7 ans depuis leur initiation (marge 0,5-21 ans) et de 5 ans depuis leur premier usage régulier (marge 0,5-20 ans).

Pour montrer comment le niveau de consommation de cocaïne se développe pendant la période comprise entre la première année d'usage régulier et l'enquête, nous avons adopté une technique utilisée pour la première fois par Chitwood (1985). Le niveau de consommation est indiqué en grammes par semaine. Nous avons calculé ces niveaux en multipliant les fréquences d'usage mentionnées avec le nombre normal de lignes de cocaïne (en admettant qu'une ligne fasse 25 mg) faites à une période donnée. Un niveau de consommation faible est inférieur ou égal à 0,5 grammes par semaine, un niveau moyen se situe entre 0,5 et 2,5 grammes, un niveau élevé est supérieur à 2,5 grammes. Le tableau 6 et la figure 1 montrent la proportion de consommateurs à chaque niveau d'usage à trois moments de leur carrière. La moitié ne dépasse jamais 0,5 grammes, l'autre moitié la dépasse durant la période d'usage maximal. Les consommations moyennes et élevées ne durent pas. Au moment de l'enquête, beaucoup s'abstiennent, indépendamment de leur niveau de consommation durant la période d'usage maximal. Par conséquent, le niveau de consommation, même aux périodes les plus intensives, ne présage pas de la probabilité de l'abstinence.


Tableau 6. Niveau de consommation de cocaïne à trois périodes données

première année de consommation régulière période d'usage maximal les trois derniers mois précédent l'enquête
niveau de consommation n % n % n %

nul - - - - 71 26,5
faible 232 86,6 134 50,0 168 62,7
moyen 29 10,8 82 30,6 20 7,5
élevé 5 1,9 50 18,7 7 2,6
inconnu 2 0,7 2 0,7 2 0,7

total 268 100,0 268 100,0 268 100,0

niveau faible: inférieur à 0,5 grammes par semaine
niveau moyen: entre 0,5 et 2,5 grammes par semaine
niveau élevé: supérieur à 2,5 grammes par semaine


Figure 1. Evolution du niveau de consommation de cocaïne dans le temps (nombre des personnes interrogées entre parenthèses, N=268)
Evolution du niveau de consommation de cocaïne dans le temps


La quantité de cocaïne consommée évolue dans le temps, à la fois vers des niveaux supérieurs et inférieurs, mais une partie des usagers garde un niveau stable de consommation. Dans le tableau 3, on peut observer de grandes différences entre les catégories de niveau de consommation. Le groupe qui consomme le plus pendant la période d'usage maximal a une consommation médiane de 1,000 mg par jour, alors que celle-ci n'est que de 20 mg par jour dans le groupe à consommation faible. La différence de consommation, entre les usagers qui consomment peu et ceux qui consomment beaucoup durant leur période de consommation maximale, est énorme : de 10 mg à 42.000 mg par semaine.


Tableau 7. Caractéristiques du niveau de consommation durant la période d'usage maximal de cocaïne

niveau de consommation faible

n 134
moyenne 164 mg/semaine
médiane 125 mg/semaine
fourchette 10 - 486 mg/semaine
durée moyenne de la période d'usage maximal 15,8 mois
durée médiane de la péreiode d'usage maximal 8 mois

niveau de consommation faible

n 82
moyenne 1.049 mg/semaine
médiane 850 mg/semaine
fourchette 500 - 2.250 mg/semaine
durée moyenne de la période d'usage maximal 20,9 mois
durée médiane de la péreiode d'usage maximal 12 mois

niveau de consommation élevé

n 50
moyenne 9.536 mg/semaine
médiane 7.000 mg/semaine
fourchette 2.625 - 42.000 mg/semaine
durée moyenne de la période d'usage maximal 26,0 mois
durée médiane de la péreiode d'usage maximal 18 mois

total de l'échantillon

N 266*
moyenne 2.198 mg/semaine
médiane 468 mg/semaine
fourchette 10 - 42.000 mg/semaine
durée moyenne de la période d'usage maximal 19,4 mois
durée médiane de la péreiode d'usage maximal 12 mois

* Il n'a pas été possible d'obtenir de données sur le niveau de consommation de cocaïne pendant la période d'usage maximal dans le cas de deux personnes interrogées.


La durée moyenne d'usage maximal chez les petits consommateurs (16 mois) est de presque une année de moins que celle des grands consommateurs (26 mois). Pourtant, même à un niveau de consommation élevé, 50% des personnes interrogées affirment que leur période d'usage maximal est inférieure ou égale à 18 mois. Il existe une corrélation évidente entre la durée de la période maximale et le niveau de consommation, mais il est difficile de dire pourquoi. Les grands consommateurs subissent beaucoup plus d'effets négatifs de la cocaïne que les autres. Accordent-ils plus de valeur aux effets positifs ? Nous avons remarqué cependant que la proportion des grands consommateurs qui finissent par s'abstenir n'est pas inférieure à celle des autres consommateurs.

Le tableau 8 montre comment un dosage médian, dans des circonstances normales d'usage, évolue de 100 mg pendant la première année d'usage régulier, à 250 mg durant la période d'usage maximal, pour ensuite retomber à 125 mg durant les trois mois précédant l'enquête[5]. Les usagers ingèrent la drogue principalement par voie nasale : pratiquement les trois-quarts (74%) affirment que le "sniff" est leur mode d'usage principal, mais l'emploi d'autres méthodes au cours de la carrière est répandue. A Amsterdam, 66% des usagers ont déjà fumé de l'hydrochlorure de cocaïne mélangé à du tabac dans une cigarette, 23% ont déjà fumé de la cocaïne-base et 6% se sont injecté la cocaïne. Mais, parmi les usagers insérés, ceux qui ont d'autres méthodes principales d'ingestion sont rares : par injection 2%, en fumant de la cocaïne-base 3,5%, en cigarettes 4%[6]. Les deux premières méthodes évoquent fortement l'image infamante du junky. C'est la raison la plus fréquemment invoquée par les personnes interrogées pour expliquer qu'elles ne les utilisent jamais ou, du moins, jamais au-delà d'une simple expérience. Les voies d'ingestion et l'idéologie qui les accompagne constituent probablement un important mécanisme de contrôle.


Tableau 8. Dosage dans une situation typique à quatre périodes données

première prise de cocaïne première année d'usage régulier période d'usage maximal
dosage n % n % n %

nul - - - - - -
1 - 99 mg 181 67,5 102 38,1 36 13,4
100 - 249 mg 59 22,0 90 33,6 91 34,0
250 - 499 mg 14 5,2 42 15,7 69 25,7
supérieur à 500 mg 9 3,4 34 12,7 70 26,1
pas de réponse 5 1,9 - - 2 0,7

total 268 100,0 268 100,0 268 100,0

moyenne 100 mg 200 mg 444 mg
médiane 50 mg 100 mg 250 mg

les trois derniers mois précédant l'enquête
dosage zéro inclus dosage zéro exclus
dosage n % n %

nul 59 22,0
1 - 99 mg 66 24,6 66 31,6
100 - 249 mg 73 27,2 73 34,9
250 - 499 mg 37 13,8 37 17,7
supérieur à 500 mg 21 7,8 21 10,0
pas de réponse 12 4,5 12 5,7

total 268 100,0 209 100,0

moyenne 178 mg 207 mg
médiane 100 mg 125 mg


La consommation pendant le week-end est le mode d'usage le plus fréquent chez les petits consommateurs. A quelques rares exceptions près, tous les grands consommateurs prennent de la cocaïne quotidiennement durant leur période d'usage maximal. Beaucoup d'usagers connaissent des périodes d'abstinence qui peuvent durer entre une semaine et plusieurs mois. Nous ne nous sommes intéressés qu'aux périodes d'abstinence d'un mois ou plus. Une minorité des personnes interrogées n'a jamais vécu de telles périodes (14%), une autre en de rares occasions, pas plus d'une ou deux fois (18%), les deux tiers (66%) trois fois ou plus (tableau 9).


Tableau 9. Nombre de fois où les personnes interrogées ont déclaré s'être abstenues pendant un mois ou plus

n %

jamais 38 14,2
1 ou 2 fois 49 18,3
3 - 5 fois 47 17,5
6 - 10 fois 42 15,7
plus de 10 fois 88 32,8
inconnu 4 1,5

total 268 100,0



Les raisons invoquées sont nombreuses. Nous les avons divisées en raisons internes et externes. Parmi les raisons internes les plus souvent citées, il y avait "l'absence de l'envie de cocaïne". 40 personnes ont donné cette raison (18% des mentions), 21 personnes interrogées ont citée l'apparition d'effets physiques et mentaux négatifs (9%), 11 personnes la peur de la dépendance (5%). La raison externe la plus importante, citée par 43 personnes, est "le manque d'argent" (19%). 37 réponses (16%) citent le contexte (les amis qui ne touchent pas à la cocaïne, l'absence d'un environnement favorable à la consommation). Les autres raisons incluent la grossesse (3), le travail ou les études (5), des voyages à l'étranger (8).

Quand nous avons demandé aux personnes s'il leur était déjà arrivé de réduire leur consommation, un peu plus de 60% ont répondu par l'affirmative. Ce pourcentage très élevé a de quoi surprendre, quand on sait que 50% de ces personnes interrogées ne dépassent jamais un niveau de consommation de 0,5 grammes par semaine. Les raisons les plus importantes sont les mêmes que pour l'abstention. Parmi les raisons internes, la plus importante était l'absence de l'envie de cocaïne (30 personnes), la seconde concerne les effets physiques et psychiques négatifs (26). Parmi les raisons externes, le manque d'argent était de nouveau le plus souvent cité (46) et les raisons contextuelles venaient en second (22).

Effets, avantages et désavantages de la cocaïne. Nous avons mesuré les effets de deux façons : en demandant aux personnes de citer les avantages et désavantages de la cocaïne les plus importants et, nous référant à une centaine d'effets différents tirés de la littérature, en demandant aux personnes s'il leur était déjà arrivé de les ressentir comme des conséquences de l'usage de cocaïne L'un de nos objectifs était de savoir quels effets dépendent du dosage et/ou du niveau de consommation. En comparant les données concernant les niveaux de consommation en fonction de la prévalence des effets avec des données identiques issues d'autres études (Erickson, 1987 ; Morningstar et Chitwood, 1983), nous avons trouvé des similarités, mais également des discordances (Cohen, 1989, p.99)[7]. Là où nous avons remarqué une covariance statistique entre le niveau de consommation et la prévalence des effets, nous n'avons pas trouvé de covariance similaire ailleurs, et vice versa. Nous avons également remarqué que nombre d'effets s'entrecroisent. Pour arriver à cette conclusion, nous avions établi des échelles de Mokken des effets en calculant la mise en échelle d'un grand nombre d'entre eux[8]. Nous avons ainsi réussi à construire cinq échelles. Il semble que les usagers mentionnent des ensembles d'effets typiques. Afin de dresser un tableau exact de ce résultat, nous allons devoir discuter de deux difficultés majeures de ces mesures.

L'une des raisons qui nous a poussés à conclure que les effets sont difficiles à étudier est que, d'après nos résultats, la variance des scores des échelles s'expliquait difficilement par les paramètres d'usage. La simple existence ou bien la prévalence des effets est en relation directe non seulement avec le niveau de consommation ou le dosage, mais également avec beaucoup d'autres variables. Lindesmith a observé que : "la sensation ou l'expérience varie grandement en fonction de la personne, du cadre, de l'humeur de l'usager, de la dose et de la manière dont elle est prise" (Lindesmith, 1968). Cet extrait décrive les conclusions de Lindesmith sur l'héroïne, mais on peut certainement en dire autant de la cocaïne ou de n'importe quel autre psychotrope. On peut de nouveau superposer toutes ces variables sur les variations systématiques de lieu, de période, de conditions d'approvisionnement, d'emploi concomitant d'autres drogues, etc. Il devient donc clair que des paramètres d'usage unidimensionnels ne peuvent expliquer la variation des scores sur nos échelles d'effets. En d'autres termes, la pharmacologie de la cocaïne est une chose, mais le système social et psychologique dans lequel les êtres humains consomment cette drogue n'est pas sans importance (Hartnoll, 1990). Pour obtenir une bonne mesure des effets, il faudrait prendre en compte les multiples déterminants liés à l'expérience de la drogue. C'est une chose que nous ne sommes pas encore à même de faire. On devrait d'abord développer une solide théorie sur les effets de la drogue. Voilà certainement l'un des défis les plus difficiles des recherches sur la drogue.

La fiabilité de l'instrument de mesure des effets constitue un autre problème. Dans l'étude complémentaire, nous avons posé quatre ans plus tard les mêmes questions. Sur les échelles I et IV, nous avons remarqué que 53% des usagers répondaient la même chose, alors que sur l'échelle III ils n'étaient plus que 12%, sur l'échelle V 21%, et sur l'échelle II 32%. Encore plus problématique, les personnes réinterrogées ont également signalé moins d'effets, la diminution étant de 18% à 44% par échelle. Cela montre que la fiabilité de notre instrument de mesure est pour le moins discutable. Nous avons calculé les scores sur les échelles au moyen des questions de prévalence pour chaque effet, et ils sembleraient être sujets à de nombreuses "interférences". Ces interférences sont sans doute constituées d'un ensemble et d'un arrangement des variables citées plus haut, qui influent sur la prévalence de certains effets, mais elles pourraient également inclure des oublis ou des pertes de mémoire.


Tableau 10. Les cinq avantages et désavantages de la cocaïne les plus fréquemment cités, classement par ordre de grandeur et fréquence

avantages de la cocaïne rang rang final
1 2 3 4 5* total

plus d'énergie 65 64 45 10 6 190 1
communication 33 45 37 11 5 131 2
planant, relaxant 38 43 18 7 - 106 3
plus créatif 37 19 18 8 - 82 4
confiance en soi 27 28 12 5 1 73 5

désavantages de la cocaïne rang rang final
1 2 3 4 5* total

effets physiques désagréables 32 32 29 10 2 105 1
cher 29 23 26 9 1 88 2
mauvais pour la santé 23 23 13 3 - 62 3
rend égocentrique, introverti 16 15 7 5 3 46 4
crée une accoutumance psychique 20 13 6 2 1 42 5

* Les personnes interrogées en 1987 pouvaient mentionner cinq avantages contre quatre seulement pour les personnes interrogées en 1991.


Lorsque nous avons comparé la répartition des scores sur chaque échelle des échantillons de 1987 et de 1991, nous n'avons trouvé aucune différence statistiquement significative. On pouvait s'y attendre puisque toutes les autres données vont dans le sens de notre conclusion, à savoir qu'il existe une grande part de similitude entre les deux échantillons. De plus, dans la mesure où notre méthode d'interrogation sur les effets n'est pas fiable, ce serait un fait vraiment extraordinaire que nos échelles aboutissent à des scores et des différentiations de scores presque identiques pour chaque échantillon. Par conséquent, nous admettrons pour l'instant que, d'une part, nos questions sur les effets ainsi que les échelles de Mokken qu'elles ont permis d'élaborer ont un certain degré de validité et que, d'autre part, nous ne pouvons pas encore expliquer la fiabilité de nos scores pour chaque personne interrogée.

En ce qui concernent les effets, les avantages et les désavantages, nous nous sommes aperçus que ces usagers expérimentés citent beaucoup plus de désavantages liés à la prise de cocaïne que d'avantages. En éliminant les réponses idiosyncrasiques qui sont pratiquement incodifiables, ces usagers ont mentionné 9 catégories majeures d'avantages, contre 22 catégories majeures de désavantages. Nous n'avons listé que les 5 plus importantes. Comme nous l'avons dit précédemment, nous avons essayé de mesurer la prévalence au cours de la vie (PCV) d'une centaine d'effets de la cocaïne. Le tableau 11 contient la PCV de dix conséquences et effets négatifs de la cocaïne, bien connus et extrêmement indésirables, classés par niveau de consommation. On peut remarquer que l'anxiété, la suspicion démesurée et une pression dans la poitrine sont les effets qui possèdent le taux de PCV le plus élevé. Pourtant, moins de la moitié des personnes interrogées a cité ces effets. Mais la plupart de ce derniers sont liés de façon évidente au niveau de consommation.


Tableau 11. Apparition d'effets dus à la cocaïne et niveau de consommation durant la période d'usage maximal pour les personnes interrogées qui "sniffent" la cocaïne exclusivement et pour la totalité des personnes interrogées

personnes interrogées qui "sniffent" exclusivement
niveau de consommation durant la période d'usage maximal Chi2 signification
faible moyen élevé total
effets dus à la cocaïne n % n % n % n %

hémorragies 2 2 4 8 2 6 8 4 ~
dépressions 7 6 4 8 8 24 19 10 p<0,01
anxiété 28 25 20 38 17 52 65 33 p<0,025
suspicion excessive 31 28 23 43 20 61 74 37 p<0,005
spasmes 23 21 12 23 13 39 48 24 p<0,10
perte de conscience 4 4 1 2 6 18 11 6 p<0,005
angoisse 17 15 8 15 18 55 43 22 p<0,001
pression dans la poitrine 32 29 17 32 20 61 69 35 p<0,005
violence 8 7 4 8 5 15 17 9 ns
besoin de porter une arme 1 1 1 2 10 30 12 6 ~

N=111 N=53 N=33 N=198

totalité des personnes interrogées
niveau de consommation durant la période d'usage maximal Chi2 signification
faible moyen élevé total
effets dus à la cocaïne n % n % n % n %

hémorragies 3 2 4 6 6 13 13 5 ~
dépressions 11 7 8 12 10 21 29 11 p<0,025
anxiété 43 28 26 38 25 53 94 35 p<0,01
suspicion excessive 43 28 29 43 30 64 102 38 p<0,001
spasmes 29 19 14 21 20 43 63 24 p<0,005
perte de conscience 5 3 2 3 11 23 18 7 p<0,001
angoisse 21 14 12 18 25 53 58 22 p<0,001
pression dans la poitrine 45 30 25 37 31 66 101 38 p<0,001
violence 12 8 8 12 8 17 28 10 ns
besoin de porter une arme 1 1 2 3 16 34 19 7 p<0,001

N=152 N=68 N=47 N=268

~ non applicable
ns non significatif


Nous n'avons trouvé aucune différence significative dans la PCV de ces effets quand on contrôle le moyen d'ingestion. Nous avons émis l'hypothèse que la PCV de ces dix effets négatifs serait moindre si nous la calculions uniquement dans le cas des "sniffeurs". On peut observer une PCV plus faible en ce qui concerne certains effets : par exemple les hémorragies ont une PCV de 6% quand on ne considère que les "sniffeurs", et de 13% quand toutes les autres méthodes d'ingestion sont prises en compte. Toutefois ces différences ne sont pas significatives[9]. Cela veut dire que dans notre échantillon aucune des dix conséquences négatives ne peut être associée à une méthode d'ingestion. Cependant on devrait chercher la réplication de ces résultats sur un échantillon identique beaucoup plus grand.

La liste des effets négatifs montre que la cocaïne peut être malsaine pour certains individus. La perte de conscience qu'elle provoque a une PCV de 7%, ce qui n'est pas très élevé mais peut avoir des conséquences dramatiques pour ceux qui y sont sujets[10]. Dans le groupe étudié, les crises d'angoisse ont une PCV de 22%, et 38% des personnes interrogées ressentent la fameuse pression dans la poitrine. Il est surprenant de constater que la dépression, habituellement associée à la prise de cocaïne, n'a pourtant qu'une faible PCV de 11%. Cet effet ne figure pas parmi les cinq désavantages les plus fréquemment cités, et seulement 29 personnes (11%) en ont parlé. 16 personnes seulement (6%) considèrent la dépression comme le plus gros désavantage de la cocaïne.

Il est évident que la probabilité de certains effets négatifs de la cocaïne peut être réduite, en réduisant sa consommation. C'est sans aucun doute la raison majeure qui pousse la plupart des grands consommateurs de cocaïne à réduire leur consommation. Les effets physiques et psychiques négatifs, on l'a dit, sont souvent cités pour justifier des périodes d'abstention ou de diminution de la consommation. Aucun de ces effets négatifs n'a un degré zéro de PCV, même chez les petits consommateurs.

En 1987, parmi les personnes interrogées qui avaient attribué leur besoin de porter une arme à l'usage de cocaïne, 36% d'entre elles avaient été condamnées pour crimes et délits dans les deux années précédant l'enquête. Parmi celles qui n'avaient pas mentionné ce besoin, 6% seulement avaient été condamnées pour crimes et délits. Presque toutes celles qui avaient exprimé ce besoin avaient commis au moins un acte illégal dans le but de se procurer de la cocaïne (91%), alors que ce taux était de 27% parmi les autres. Il semblerait que le besoin de porter une arme soit plus lié aux déterminants des styles de vie qu'à la consommation de cocaïne per se[11].

Nous avons demandé à nos usagers s'il leur était déjà arrivé que la cocaïne devienne chez eux une obsession. 35% ont répondu par l'affirmative, et presque tous (80%) ont admis avoir quelques fois ressenti une envie très forte de cocaïne.

Les dynamiques d'usage de la cocaïne entre 1987 et 1991

Entre les mois de janvier et de juin 1991, c'est-à-dire 40 à 48 mois après l'enquête initiale, nous avons invité 64 personnes interrogées en 1987 à participer à une étude complémentaire sur leur consommation. Notre objectif était de réinterroger la moitié de notre groupe initial (160 personnes), mais il nous a été impossible de le faire pour les raisons suivantes : 16 personnes avaient quitté Amsterdam pour une destination inconnue, 5 personnes étaient parties à l'étranger, nous n'avions ni le nom ni l'adresse complète de 61 personnes[12], 3 personnes ont refusé notre invitation, 8 personnes n'ont pas répondu à notre appel, et 3 autres étaient décédées. Nous avons donc réinterrogé toutes les personnes retrouvées.

Afin de s'assurer que ces 64 personnes n'avaient pas fait l'objet d'une sélection biaisée de notre échantillon initial, nous les avons comparées aux 96 personnes non réinterrogées sur un certain nombre de variables mesurées en 1987. Nous n'avons remarqué aucune différence significative entre les deux groupes en ce qui concerne leur usage de cocaïne pendant la première année, durant la période d'usage maximal, durant les trois derniers mois précédant l'entretien de 1987, leur usage d'autres drogues (sédatifs, somnifères, cannabis, L.S.D., solvants, opiacés), leur revenus, statut marital, sexe, âge et niveau d'éducation. La seule différence significative porte sur l'emploi : en 1987, 80% des personnes réinterrogées avaient un emploi contre 58% dans le groupe des personnes interrogées pour la première fois. Malgré cette différence, nous avons considéré que les résultats des 64 personnes réinterrogées étaient représentatifs de l'ensemble du groupe initial. Nous avions donc réussi à généraliser nos données concernant ce groupe aux nouveaux usagers de cocaïne à Amsterdam. De plus, nous sommes convaincus que les conclusions tirées de notre étude complémentaire donnent une image fidèle, sur une période de dix ans, des carrières d'usage de cocaïne à Amsterdam, pour ceux qui ont commencé aux environs de 1980.


Tableau 12. Statut de travail des personnes interrogées en 1987 qui n'ont pas été réinterrogées et qui ont été réinterrogées

non réinterrogées réinterrogées
travail n % n %

à plein temps 33 34 28 44
à mi-temps 23 24 23 36
aucun 15 16 4 6
autre 24 25 9 14
pas de réponse 1 1 - -

total 96 100 64 100

Chi2 = 7,85, p<0,05, DF=3


Tableau 13. Revenus des personnes interrogées en 1987 qui n'ont pas été réinterrogées et qui ont été réinterrogées

non réinterrogées réinterrogées
revenus nets par mois n % n %

inférieurs à Fl. 1.000 15 16 7 11
Fl.1.000-1.500 34 35 20 31
Fl.1.500-2.000 22 23 11 17
Fl.2.000-2.500 7 7 10 16
Fl.2.500-3.000 10 10 7 11
Fl.3.000-4.000 4 4 6 9
Fl.4.000-5.000 2 2 - -
Fl.5.000-6.000 1 1 - -
supérieurs à Fl. 6.000 1 1 3 5

total 96 100 64 100

moyenne Fl.1.776 Fl.2.059

Loi de Student=1,55 (n.s.), df=158 (test sur les centres de classe)


En 1991, nous avons soumis les personnes réinterrogées au même programme d'entretiens approfondies qu'en 1987. Cependant, la plupart des questions n'étaient pas applicables à ceux qui avaient consommé moins de dix fois depuis 1987. Nous avons considéré ces personnes comme des non-usagers, et nous les avons soumises à un entretien beaucoup plus court. Parmi les 64 personnes réinterrogées, 30 (47%) étaient devenues des non-usagers selon les termes de notre définition, ce qui nous laissait avec 34 personnes (53%) à soumettre à un programme extensif d'entretiens[13]. Nous nous sommes également aperçus que 45 des personnes réinterrogées (75%) n'avaient pas consommé de cocaïne durant la période de quatre semaines précédant l'entretien de 1991. 19 personnes seulement sur les 64 qui avaient autrefois été des consommateurs réguliers, pouvaient encore être considérées comme consommant relativement régulièrement et de façon continue au moment de l'étude.

22 personnes réinterrogées (34%) déclarent avoir pris de la cocaïne pendant les trois mois précédant les entretiens complémentaires. En comparant leurs niveaux de consommation durant ces trois mois précédant les entretiens en 1987 et en 1991, on remarque certains changements. Parmi les 17 personnes réinterrogées qui, en 1987, avaient déclaré une absence totale d'usage de cocaïne durant les trois mois précédant l'entretien, quatre avaient repris leur consommation, dont trois à un niveau faible. Aucune de ces 17 personnes n'a déclaré un niveau de consommation moyen ou élevé au moment de l'entretien complémentaire. Parmi les 41 personnes réinterrogées qui avaient un niveau de consommation faible dans les trois mois précédant l'entretien de 1987, 27 ont déclaré s'être abstenus durant les trois mois précédant l'entretien de 1991, 13 sont restées à des niveaux faibles, et une personne est passée d'un niveau faible en 1987 à un niveau moyen en 1991. Il n'y a pas eu d'évolution vers un niveau élevé. Parmi les 5 personnes qui avaient déclaré uneconsommation moyenne en 1987, deux sont restées à ce même niveau et les trois autres sont descendues à des niveaux faibles en 1991 (tableau 14). C'est-à-dire que parmi les 64 personnes, quatre seulement (6%) sont passées à un niveau de consommation supérieur à celui de 1987. 29 (45%) sont restées au même niveau (non usagers inclus) et 27 (42%) sont passées à un niveau inférieur (non usagers inclus). Par conséquent, des modalités d'usage stables ou décroissantes ont été la norme, avec très peu d'usagers ayant déclaré une augmentation de leur consommation durant ces quatre années.


Table 14. Niveau de consommation pendant les trois derniers mois ayant précédé les enquêtes de 1987 et de 1991

niveau de consommation en 1991
nul faible moyen total
niveau de consommation en 1987 n % n % n % n %

nul 14 82 3 18 - - 17 100
faible 27 66 13 32 1 2 41 100
moyen - - 3 60 2 40 5 100

total 41 65 19 30 3 5 63 100

Prod. de Pearson - corr. du moment: r=0,59, p<0,01 (calculé à partir de données non classées); test binominal niveau augmenté vs. niveau diminué: p<0,001 (prop. test 0,5)


La comparaison entre les niveaux maximaux de consommation d'avant 1987 et ceux de la période comprise entre 1987 et 1991 montre une même dynamique de consommation décroissante : six personnes interrogées ont augmenté leur niveau maximal de consommation (de faible à moyen), mais la majorité est resté au même niveau maximal (faible pour 14 personnes) ou l'a diminué (13 personnes)[14].

Les résultats concernant la carrière de ces 64 personnes sur cinq périodes d'usage sont : la première année d'usage régulier, la période d'usage maximal avant l'entretien de 1987, les trois mois précédant l'entretien de 1987, l'année précédant la relance de 1991, et les trois derniers mois précédant la relance. Ces cinq périodes englobent une carrière de consommation de cocaïne s'étalant sur environ 10 années depuis la période initiale d'usage régulier (12 années depuis l'initiation).

Comme en 1987, le "sniff" reste la méthode principale d'usage. Depuis 1987, 27 des 34 non-abstinents (79,4%) ont déclaré qu'ils "sniffent" pratiquement à chaque fois, 7 avoir utilisé une ou plusieurs autres méthodes : en s'injectant la cocaïne (une personne une fois), en la mangeant (quatre personnes une fois, une "à chaque fois" et deux autres occasionnellement). Cinq personnes ont déclaré avoir appliqué la cocaïne sur leurs parties génitales en de rares occasions, et trois ont exceptionnellement fumé de la cocaïne-base. Deux personnes ont l'habitude de fumer la cocaïne dans une cigarette roulée à la main, et 24 autres ont essayé au moins une fois de fumer la cocaïne.

Nous avons demandé aux 34 non-abstinents quels avantages et désavantages ils percevaient pour chaque mode d'ingestion. Les réponses étaient nombreuses, mais nous ne nous référerons ici qu'aux avis émis concernant l'injection et la cocaïne-base fumée. Chacune avait au moins un avis sur l'injection, et certaines plus d'un. En tout, nous avons noté 39 avantages et 59 désavantages perçus concernant l'injection. L'avantage le plus fréquemment cité est la production d'un meilleur effet et/ou le "flash" (22 fois). Le désavantage le plus fréquemment cité est qu'elle est malsaine et/ou dangereuse (21 fois). Le désavantage le plus fréquemment cité en seconde position a un rapport avec l'image de l'injection : "on s'y accroche" et/ou "c'est ce que font les junkies" (18 fois).


Figure 2. Evolution du niveau de la consommation de cocaïne dans le temps (nombre des personnes interrogées indiqué entre parenthèses, N=64)
Evolution du niveau de la consommation de cocaïne dans le temps


Il est intéressant de constater qu'en dépit du fait que de nombreuses personnes interrogées croient que les effets de l'injection sont supérieurs à ceux du "sniff", elle reste rare à cause des risques perçus. Cette perception peut être considérée comme une forme dominante de contrôle informel, que la plupart des personnes de l'étude complémentaire ont respecté. Il en va de même pour la cocaïne-base fumée : 33 personnes sur 34 ont cité des avantages à cette méthode d'ingestion, parmi lesquels le plus souvent mentionné est un accroissement des effets (24 fois). Pourtant le désavantage qui y est lié ("on s'y accroche" ou "c'est quelque chose que font les junkies") a été cité presque autant de fois (23 fois). 6 personnes ont estimé que la cocaïne fumée pure était trop coûteuse et 6 ont trouvé que c'était trop compliqué et trop salissant.

En bref, les personnes réinterrogées perçoivent de nombreux avantages et désavantages aux différents modes d'ingestion, et elles ont choisi celui qui leur semble sans danger et qu'elles n'associent pas aux groupes perçus comme déviants. Bien que ces usagers soient nombreux à avoir essayé d'autres modes d'ingestion, ils ne les ont généralement pas adoptées, même si elles leur procuraient plus de plaisir. Nous ne pouvons pas exclure la possibilité que ces usagers intériorisent, comme tout le monde, nombre de constructions sociales sur la drogue. L'aversion "normale" pour l'injection et son association avec un-comportement-de-junky, ainsi que la réaction aux images des médias sur le crack sont probablement aussi importantes chez les "sniffeurs" de cocaïne que chez les non-usagers.

Le prix et la qualité de la cocaïne

Entre 1987 et 1991 le prix de la cocaïne semble avoir baissé, tandis que sa qualité s'est améliorée. Cette observation n'est valable que pour la part de marché que représentent les usagers réinterrogés. Selon les 28 personnes qui ont répondu à notre question sur le prix actuel de la cocaïne, le prix moyen et médian par gramme en 1991 était d'environ 450 frcs. En 1987, le prix moyen était d'environ 540 frcs, et un peu plus de 50% des personnes interrogées avaient payé plus de 600 frcs contre 15% seulement en 1991. Au cours de cette même année nous avons acheté 9 échantillons de cocaïne à 34 personnes non-abstinentes. Ces échantillons, analysés par le laboratoire central de la Police Municipale d'Amsterdam[15], ont produit de l'hydrochlorure de cocaïne pur à 87% en moyenne, dans une fourchette comprise entre 74% et 96%. Sur 39 échantillons analysés en 1987, l'hydrochlorure de cocaïne était pur à 65% en moyenne, dans une fourchette comprise entre 14% et 90%.

Les contextes de consommation de cocaïne

En 1987, nous avions remarqué que c'était surtout à l'occasion des sorties, des fêtes et des réunions entre amis que l'on consommait de la cocaïne. En 1991, nous n'avons trouvé aucune différence. Les trois mêmes occasions ont été citées comme étant de loin les plus importantes. La prévalence de ces contextes n'avait pas changé.

Il en va de même des situations dans lesquelles les personnes interrogées trouvaient qu'il était préférable de ne pas consommer. En 1987, les quatre situations les plus souvent citées étaient : le travail et les études, avant la réalisation d'un projet quelconque, les situations de la vie courante et la présence de personnes qui ne consomment pas. En 1991, 33 des 34 non abstinents ont cité ces quatre situations exactement dans le même ordre. Ces données montrent, à leur tour, que les fonctions remplies par la cocaïne sont restées très stables. Le fait que la plupart de ces 34 usagers expérimentés avaient considérablement réduit leur consommation ne semblait pas avoir d'incidence sur les situations d'usage.

Un ensemble d'émotions a joué un rôle dans l'usage de cocaïne en 1987 comme en 1991 : 19 des 34 personnes interrogées ont déclaré que certains états émotifs pouvaient provoquer chez elles le désir de prendre de la cocaïne. Ainsi, la joie ou une grande sensation de bien-être étaient le plus souvent citées (25% en 1987, 29% en 1991). Cela correspondait à la fonction sociale dominante que les personnes accordaient à la cocaïne. La sensation d'être fatigué (20%) occupait le deuxième rang. Les autres états émotionnels n'ont été cités que par de très petits pourcentages.

Les règles d'usages

Ceux qui prétendent que la dépendance est un trait inhérent à la cocaïne mettent en avant les expériences menées sur des rats et des singes encagés, qui avaient un accès illimité à la cocaïne et n'avaient rien de mieux à faire. Bien que de telles conditions n'existent quasiment jamais chez les humains, les personnes réinterrogées (ainsi que toutes les autres personnes interrogées dans les deux autres enquêtes) avaient un accès très facile à la cocaïne, culturellement comme géographiquement. Les ressources financières ne sont pas vraiment un problème bien que les revenus personnels imposent à chacun des limites. Par conséquent, si la dépendance est strictement fonction de la présence physiologique de la substance et de son accessibilité, on devrait s'attendre à trouver nombre d'usagers de cocaïne qui consomment souvent et depuis longtemps, avec des modalités d'usage qu'on associe habituellement à la dépendance. Ceci n'est pourtant pas le cas comme l'ont montrées nos données sur la dynamique des usages.

Conseils aux novices

Nous avons approché la question des règles d'usage sous des angles très variés[16]. Par exemple, nous avons invité les non abstinents à donner des conseils aux usagers novices sur les moyens d'ingestion, les dosages, les situations, les mélanges avec d'autres drogues et l'achat de cocaïne. Le "sniff" est apparemment la méthode d'ingestion que ces usagers recommandent aux novices. Cela prouve que, pour eux, le moyen d'ingestion sert de mécanisme de contrôle : "Tenez-vous-en au sniff!" est le conseil que 24 (71%) des 34 non abstinents ont donné. Deux personnes ont conseillé aux novices d'éviter de "se fixer", et deux autres ont conseillé de "sniffer" ou de fumer la cocaïne sous forme de cigarette. Seulement une personne a dit qu'on peut utiliser n'importe quelle quantité, et une autre a simplement conseillé d'en utiliser "suffisamment". Toutes les autres ont recommandé de limiter les doses d'une manière ou d'une autre : "pas trop, pas plus de..., juste un peu". Quand nous avons posé des questions sur les conditions d'usage, nous avons reçu exactement les mêmes réponses que lorsque nous avions demandé quelles étaient les situations favorables à l'usage de cocaïne : prendre de la cocaïne quand on est en bonne compagnie, et être certain que l'on se sent déjà bien. Seulement deux personnes ont dit que les conditions d'usage n'avaient aucune importance. Quand nous avions demandé aux consommateurs interrogés en 1987 s'ils avaient un conseil à donner aux novices pour acheter la cocaïne, 20% avaient répondu qu'ils devraient toujours acheter à un seul et même revendeur. Cependant, dans l'étude complémentaire de 1991, seulement deux personnes ont donné un tel conseil. Mais bien qu'avoir un fournisseur unique ne semble plus très important, les réponses données en 1991 indiquent qu'il est essentiel de ne pas acheter dans les endroits publics, tels que les discothèques ou la rue. La proportion des personnes ayant donné cette réponse a augmenté de 15% en 1987 à 40% en 1991. Le conseil le plus fréquemment cité en ce qui concerne l'achat n'a pas changé : il vaut toujours mieux acheter à une personne en qui l'on a confiance.

Conclusions

A en juger par le résumé des règles reconnues par les usagers de cocaïne, nous pourrions déduire que les mécanismes de contrôle correspondent parfaitement aux modes dominants et aux niveaux de consommation dans le groupe considéré. Du fait de l'absence relative de modes d'usage destructifs et compulsifs sur une période de dix ans, nous pouvons conclure que les usagers de cocaïne sont capables de se contrôler et qu'ils le font. Ils emploient deux méthodes dominantes : en cantonnant l'usage à certaines situations et états émotifs qui permettent à la cocaïne d'avoir des effets très positifs ; en limitant le mode d'ingestion au "sniff" et en utilisant de faibles doses de cocaïne, moins de 2,5 grammes par semaine pour quelques-uns, moins de 0,5 pour la plupart. Néanmoins, tous ceux qui consommaient plus de 2.5 grammes par semaine sont revenus à des niveaux de consommation plus faibles.

Aucune de ces formes de contrôle n'a semblé dépendre des agences officielles, et l'on ne sait pas si le prix de la cocaïne a joué un rôle (quand nous avons demandé si une cocaïne meilleur marché pouvait influencer leur consommation, 27 des 34 non abstinents interrogés ont répondu que cela n'aurait aucune incidence, 6 que si les prix baissaient d'environ 50%, cela aurait des répercussions sur leur consommation). L'énorme augmentation de la prévalence des effets négatifs de la cocaïne pour des niveaux de consommation excédant 2,5 grammes par semaine agit très probablement à la manière d'un contrôle physique. Il y a un certain nombre d'effets de la cocaïne auxquels aucun usager ne peut échapper. Puisque la plupart de ces usagers sont très bien intégrés dans la société, leur consommation de cocaïne doit s'insérer parmi leurs autres occupations (cf. Waldorf et al., 1991, Reinarman et alii., 1994). En vertu de l'importance prise par les fonctions sociales de la cocaïne, les conséquences d'un dysfonctionnement mettent en cause la raison d'être même de l'usage. Certains mettent du temps à le comprendre, mais nos données montrent que la plupart en sont conscients. Pour certains, cette phase d'apprentissage comporte de dures leçons aux conséquences très dangereuses. La politique de réduction des risques pourrait progresser si cette phase d'apprentissage pouvait être étudiée du point de vue de la prévention. Certaines de ces leçons pourraient être évitées par des efforts de prévention visant non à l'abstention, inefficaces, mais à un usage moins dangereux.

Il existe, bien entendu, des contrôles externes à Amsterdam, comme la sanction pénale, mais la moitié des personnes interrogées ne les considère pas comme adaptés. L'autre moitié a déclaré que la politique et les lois en vigueur influencent leur consommation, mais autant positivement que négativement. Tous les non abstinents réinterrogés ont plusieurs revendeurs de cocaïne, et les achats de cocaïne, qui ont lieu d'ordinaire dans des appartements ne présentent guère de risque[17]. Ces non abstinents gagnent par ailleurs assez d'argent pour acheter leur cocaïne (près de 9000 frcs par mois). Nos résultats contredisent donc les modèles physiologiques qui soutiennent les lois en vigueur. Par exemple, selon Gawin (1991) : <<Les limitations d'accès à la drogue, telles que le prix élevé de la cocaïne et les limitations légales de distribution, régularisent la consommation de cocaïne chez l'être humain, et peut ainsi empêcher que sa consommation imite trop souvent les expériences au libre accès menées chez l'animal, et qui engendrent la mort>>.

Dans notre échantillon de personnes réinterrogées, prélevée dans le très grand groupe d'usagers que constituent les populations hors traitement, seulement quatre sur 64 avaient déjà envisagé un traitement, et une seulement l'a fait (parce qu'elle mélangeait une consommation d'alcool élevée avec un niveau de consommation moyen de cocaïne). Cela signifie que, dans le contexte d'un faible pression des contrôles externes, 6% des personnes réinterrogées ont vécu des expériences subjectives négatives assez importantes pour les pousser à penser à un traitement. Nous pouvons donc déduire sans risque que ce sont non pas les contrôles externes et institutionnalisés de la contrainte pénale, mais bien plutôt l'autorégulation et les contrôles sociaux informels qui empêchent la grande majorité de ces consommateurs de succomber aux risques de l'abus de cocaïne.

Les limites de notre échantillon de personnes réinterrogées ne nous permettent pas de démontrer entièrement la fausseté de l'assertion que de grands pourcentages d'êtres humains qui consomment régulièrement de la cocaïne finiront, un jour ou l'autre, par consommer plus et par devenir dépendants. Pour qu'une telle réfutation soit concluante, il faudrait des mesures longitudinales répétées des modalités d'usage dans les circonstances les plus diverses. Nos résultats sur Amsterdam démontrent malgré tout que les carrières prolongées d'usage de cocaïne, même si elles s'étalent sur une décennie, ne dégénèrent pas inévitablement en une consommation incontrôlée et/ou destructrice ou en dépendance. Nos conclusions sont similaires aux autres études sur des échantillons de populations hors traitement au Canada (Erickson et al.,1987, 1992) et en Californie (Murphy et al., 1989). Elles remettent en question la validité de l'argument qui prétend que l'usage de cocaïne aboutit généralement à l'abus et à la dépendance.


Bibliographie

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Cohen, P.D.A. & Sas, A.J. (1992) Loss of control over cocaine, rule or exception ? Communication présentée à la Société Américaine de Criminologie, New Orleans, 3-7 novembre, 1992.

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Erickson, P. (1992) A Longitudinal Study of Cocaine users : The Natural History of Cocaine Use and its Consequences among Canadian Adults. Toronto : Addiction Research Foundation. Final Report NHRDP #6606-3929-DA.

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Annotations

  1. Cet article a été originellement publié sous le titre <<Cocaine Use in Amsterdam in non Deviant Subcultures>> dans Addiction Research, 1994, vol. 2, ndeg.1, pp. 71-94. Nous remercions le directeur de la publication de nous avoir autorisé à le publier en Français. Pour des raisons de contraintes éditoriales nous avons supprimé un paragraphe consacré à la perte de contrôle, parce que les résultats ne sont pas estimés significatifs par les auteurs. Le lecteur pourra se reporter à l'article original Toutes les indications chiffrées renvoient à ces tableaux (NDE).
  2. Nous avons laissé nos "boules de neige" s'orienter d'elles-mêmes vers les milieux déviants quand cela se produisait.
  3. Nous voulions empêcher qu'une préférence pour des personnes nommées, mêmes inconnues, n'influe sur la sélection de l'échantillon.
  4. En 1987 l'étendue de l'usage de cocaïne dans l'échantillon sur les ménages était de 5,6% chez les 12 ans et plus (N=4371) (Sandwijk et al., 1988). En 1991, l'étendue de l'usage de cocaïne était de 5,3% (N=4440) (Sandwijk et al., 1991).
  5. Nous avons indiqué les valeurs médianes parce qu'il y a une énorme quantité de dosages typiques. Dans ce cas précis, les valeurs médianes donnent une meilleure idée de la tendance centrale, parce qu'il suffirait de quelques personnes qui consomment des doses très élevées pour augmenter considérablement les valeurs moyennes.
  6. Aucune des personnes que nous avons interrogées n'a cité le crack, qui est une forme commercialisée de cocaïne-base (free base) que l'on peut fumer. Bien que nous n'ayons pas posé de questions explicites sur l'usage du crack, nous sommes persuadés que si l'une d'entre elles avait consommé de la cocaïne sous forme de crack, cela ne nous aurait pas échappé.
  7. La comparabilité était limitée parce qu'il y avait des dissimilitudes entre les échantillonnages, les critères d'entrée et les définitions du degré de consommation. Tout en gardant cela à l'esprit, nous avons trouvé que, dans les trois études, sur les 41 questions portant sur les effets ordinaires, 27 effets avaient un rapport avec des paramètres d'usage ; parmi ces trois études 14 effets ne montraient aucune consistance.
  8. L'analyse de l'échelle de Mokken est basée sur l'analyse de l'échelle de Guttman. Cependant cette dernière est déterministe, c'est-à-dire qu'une personne interrogée qui répond à une question d'une manière positive doit également répondre d'une manière positive à des questions moins difficiles. L'analyse de Mokken est probabiliste, c'est-à-dire qu'une personne interrogée répondant positivement à une question a une probabilité sensiblement supérieure à zéro de répondre aussi de façon positive à une question moins difficile (Mokken et al., 1982, Sijtsma et al., 1992).
  9. Nous n'avons pas demandé de détails sur ces effets. Il nous est difficile de savoir si c'est la cocaïne uniquement ou bien un mélange de drogues qui produit ces effets. La cocaïne est souvent prise avec de l'alcool, et l'usage concomitant du MDMA (extasie) ou du cannabis ne sont pas rares.
  10. Nous n'avons comparé les "sniffeurs" avec ceux qui se fixent ou ceux qui fument la cocaïne-base, parce que ces deux dernières catégories sont trop étroites pour offrir des comparaisons intéressantes. Nous avons donc choisi de comparer ceux qui "sniffent presque exclusivement" avec tous les autres consommateurs. Ceci présente l'avantage de prendre en compte même les rares expériences d'ingestion, en incluant dans le second groupe de la comparaison toutes les méthodes d'ingestion autres que le sniff.
  11. Nous n'avons réalisé cette analyse qu'en 1989 pour les personnes que nous avons interrogées en 1987.
  12. Nous n'avions éliminé aucune des personnes interrogées si elle ou il ne voulait pas fournir de données d'identification complètes. Les enquêteurs n'avaient pas pour instruction de noter secrètement ces détails. Malgré le contexte de la politique de cocaïne en 1987, nous avons été surpris de constater qu'il y avait quand même 30% des personnes interrogées qui préféraient garder l'anonymat.
  13. Sur les 30 non-usagers, 23 avaient consommé entre une et dix fois durant la période de relance. Sept personnes interrogées ont déclaré n'avoir rien consommé.
  14. Nous n'avons aucune donnée fiable concernant le degré de consommation maximale dans le cas d'une personne interrogée en 1987.
  15. Nous avons pu mener à bien notre enquête grâce à la coopération sincère de la police et du Procureur de la République. Par exemple, ils nous ont délivré la garantie écrite que nos données ne seraient pas saisies. Pour nous cette garantie était vitale, afin d'assurer la sécurité absolue des personnes interrogées ainsi que des enquêteurs. Le chercheur, accompagné d'un assistant, a eu la permission d'apporter les échantillons de cocaïne (que nous avions acheté aux personnes interrogées pour 150 frcs) au laboratoire de police où elles ont été détruite après analyse.
  16. Nous avons demandé explicitement aux consommateurs s'ils avaient essayé de suivre certaines règles d'usage, et nous les avons questionnées sur ces règles éventuelles en adoptant des approches très variées, par exemple, en leur demandant avec qui ils prendraient de la cocaïne et avec qui ils n'en prendraient pas, quand ils choisiraient d'en prendre et quand ils éviteraient d'en prendre, etc.
  17. La police concentre ses efforts sur les transactions et le transit à grande échelle. Elle n'inquiète pas les petits revendeurs individuels tant qu'ils restent discrets.