Boekhout van Solinge, Tim (1996), Le cannabis en France. In: Peter Cohen & Arjan Sas (Eds.) (1996), Cannabisbeleid in Duitsland, Frankrijk en de Verenigde Staten. Amsterdam: Centrum voor Drugsonderzoek, Universiteit van Amsterdam. pp. 133-135.
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1. Le cannabis en France

Tim Boekhout van Solinge

Provenance et itinéraires du trafic

Le cannabis en France équivaut dans la pratique presque toujours à du haschich marocain. La part du lion (environ 80%) du cannabis en vente sur le marché français concerne le haschich marocain. Par ailleurs, il est également vendu du haschich pakistanais et afghan.
La marijuana est relativement rare en France. Le peu de marijuana disponible provient d'Amérique (Colombie, Jamaïque), d'Afrique (Côte d'Ivoire, Cameroun, Congo, Nigéria) ou des Pays-Bas. Dans le midi de la France, notamment en Ardèche et dans le Sud-Ouest, on peut trouver de la marijuana cultivée localement, parfois plantée avec des graines en provenance des Pays-Bas. Dans l'ensemble, cette production se fait à petite échelle et non professionnellement.
Les chiffres de l'OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants), qui rassemble les données concernant les drogues interceptées par la douane, la police et la gendarmerie, montrent que presque tout le cannabis intercepté est constitué de haschich. Sur les 58.014 kg de cannabis intercepté en 1994, 55.890 kg concernaient du haschich, soit 96%. La quantité de 44.840 kg interceptée en 1993 représentait 98% du cannabis intercepté (45.883 kg).[2]
Comme il a été dit, le cannabis équivaut dans la pratique à du haschich marocain. Contrairement à ce que l'on pense (et à ce qui est écrit notamment dans la presse populaire), la majeure partie de ce haschich n'entre pas dans le pays en passant par les Pays-Bas, mais provient `directement' du Maroc, le plus souvent en passant par l'Espagne. Après avoir atteint l'Espagne, le haschich est soit stocké provisoirement dans un des entrepôts de ce pays, soit il transite directement vers la France.[3]
Le transport routier, le plus souvent effectué par des camions et des voitures de tourisme, constitue le principal moyen par lequel le haschich traverse ensuite la frontière française. Les saisies importantes de cannabis par la douane française (responsable de 80% de l'ensemble de la drogue interceptée) ont d'ailleurs lieu à la frontière avec l'Espagne; parmi ces interceptions, les voitures de tourisme constituent le principal moyen de transport.[4]
Les chercheurs de l'Observatoire Géopolitique des Drogues (O.G.D.), ayant son siège à Paris, confirment que la majeure partie du haschich marocain atteint la France par ces circuits. Ils font également observer que le trafic entre le Maroc et la France, comparé à celui entre le Maroc et les Pays-Bas, se fait par le biais de petits réseaux (circuit courts) et est moins organisé.[5] Pour le haschich marocain ayant pour destination les Pays-Bas, on utilise plus souvent des camions, alors que le haschich destiné à la France est plus souvent transporté dans des voitures.[6]
L'OCRTIS adhère également à la thèse selon laquelle seulement une petite partie du haschich marocain entre dans le pays en passant par les Pays-Bas. Cette tendance apparaît dans les chiffres de l'OCRTIS (voir tableau 1).

Tableau 1. Provenance du haschich intercepté en France (en kg).
  1990 1991 1992 1993 1994
Liban 206 (1,0%) 15.198 (47,7%) 494 (1,2%) 45 (0,1%) - -
Maroc 8.124 (38,2%) 6.961 (21,9%) 16.811 (41,3%) 23.700 (52,9%) 23.151 (41,4%)
Pays-Bas 125 (0,6%) 577 (1,8%) 455 (1,1%) 657 (1,5%) 812 (1,5%)
Pakistan - - - - 10.579 (26,0%) 2.291 (5,1%) 9.640 (17,2%)
Espagne 6.461 (30,3%) 4.078 (12,8%) 3.867 (9,5%) 13.635 (30,4%) 10.923 (19,5%)
Autres pays 914 (4,3%) 1.639 (5,1%) 4.439 (10,9%) 679 (1,5%) 2.030 (3,6%)
Inconnu 5.458 (25,6%) 3.382 (10,6%) 4.014 (9,9%) 3.833 (8,5%) 9.334 (16,7%)
Total 21.289 (100,0%) 31.836 (100,0%) 40.658 (100,0%) 44.840 (100,0%) 55.890 (100,0%)
Source: Rapport statistique OCRTIS 1994, Ministère d l'Intérieur

Les chiffres de l'OCRTIS ne peuvent naturellement pas servir de preuve incontestable des flux de trafic; seulement une petite partie (d'après les estimations entre 5% et 15%) est en effet interceptée. Comme il ressort du tableau 1, le haschich en provenance des Pays-Bas représentait moins de 2% du total. Une part considérable de ce haschich n'est d'ailleurs même pas destiné au marché français, mais concerne le trafic de transit, destiné par exemple au marché britannique.[7] On peut même dire que plus de la moitié du haschich intercepté en France n'est pas destinée au marché français; les Pays-Bas constituent en effet une destination plus importante du haschich intercepté en France que la France elle-même (à l'exception de l'année 1993) :

Tableau 2. Destination du haschich intercepté en France (en kg).
  1990 >1991 1992 1993 1994
France 6.044 (28,4%) 11.859 (37,3%) 15.705 (38,6%) 18.294 (40,8%) 13.108 (23,5%)
Pays-Bas 9.893 (46,5%) 12.165 (38,2%) 17.469 (43,0%) 10.961 (24,4%) 19.049 (34,1%)
Reste/inconnu 5.352 (25,1%) 7.812 (24,5%) 7.484 (18,4%) 15.585 (34,8%) 23.733 (42,5%)
Total 21.289 (100,0%) 31.836 (100,0%) 40.658 (100,0%) 44.840 (100,0%) 55.890 (100,0%)
Source: Rapport statistique OCRTIS 1994, Ministère d l'Intérieur

Le fait qu'on pense souvent en France qu'une grande quantité de haschich provient des Pays-Bas s'explique peut-être comme suit.
Premièrement il existe un trafic de cannabis depuis les Pays-Bas en direction de la France. Il s'agit de quantités relativement faibles appartenant à de petits trafiquants et à des "touristes de la drogue"qui se sont arrêtés dans les coffeeshops néerlandais. La douane française arrête également plus de personnes en possession de cannabis en provenance des Pays-Bas que de voyageurs venant d'Espagne.[8] Bien que la quantité totale de cannabis interceptée en provenance des Pays-Bas soit beaucoup plus faible que celle provenant d'Espagne et du Maroc, cela contribue à la création d'une image des Pays-Bas les présentant comme un pays de distribution ou d'approvisionnement.
Deuxièmement, une part considérable (et croissante) de l'héroïne interceptée en France provient bien, quant à elle, des Pays-Bas, où les prix sont considérablement plus bas et où l'héroïne est d'une plus grande pureté.[9]
En plus de l'héroïne, une grande partie des amphétamines, du LSD et de l'ecstasy, provient des Pays-Bas. La majeure partie de ces drogues concerne le trafic de transit, et est destinée à la Grande Bretagne. Les chiffres de l'OCRTIS montrent quelle partie de ces drogues, qui ont été interceptés en 1994, provenaient des Pays-Bas. Sur les 80 kg d'amphétamines qui ont été interceptés en 1994, 45,5 kg (57%) provenaient des Pays-Bas. Sur les 74.004 doses de LSD interceptées, 67.290 doses (91%) provenaient des Pays-Bas. L'ecstasy enfin: sur les 254.804 doses interceptées, 206.804 (81%) provenaient des Pays-Bas.
Le fait qu'une part considérable de la quantité totale de drogue interceptée provienne des Pays-Bas, et le fait que les Pays-Bas constituent pour certains jeunes une destination à la mode pour des vacances (de courte durée), pendant lesquelles il est possible de fumer avec insouciance du cannabis dans un coffeeshop, a donné aux Pays-Bas la réputation d'être un paradis de la drogue ou encore un supermarché de la drogue de l'Europe. Considéré de ce point de vue, il n'est pas surprenant qu'on ait tendance à penser en France qu'une grande partie du cannabis provient également des Pays-Bas.

Prix et qualité

Le prix payé en France pour le cannabis varie selon la provenance. Le prix du haschich marocain "standard"revient de 35 à 50 F environ le gramme (s'il est acheté sous la forme d'une barrette de 2 à 3 grammes dont le prix est de 100 F). Pour des quantités plus importantes comme un"douze"(10 à 12 gramme), le prix payé est d'environ 350 F. Pour le haschich Pakistanais ou Afghan, le prix est d'à peu près 60 F par gramme. Comme on l'a vu précédemment, la marijuana est relativement rare en France. Le prix de la marijuana est de ce fait généralement plus élevé que celui du haschich, à savoir 60 F à 70 F par gramme.[10]
Le haschich marocain est en général de qualité médiocre en France. Cela est d'abord dû au fait que ce haschich est obtenu à partir de tamisages postérieurs par rapport au haschich marocain présent par exemple sur le marché néerlandais, où les exigences de qualité sont plus élevées (en raison de l'offre plus large). Le fait que le haschich soit généralement coupé constitue une raison encore plus importante de cette qualité plus médiocre. Différents produits sont utilisés pour cela; les plus courants étant la terre, la paraffine, la colle, la graisse de chèvre et (surtout) le henné.

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