Boekhout van Solinge,
Tim (1996), Conclusions et résumé. In: Boekhout van Solinge,
Tim (1996), L'héroïne, la cocaïne et le crack en France.
Trafic, usage et politique. Amsterdam, CEDRO Centrum voor Drugsonderzoek,
Universiteit van Amsterdam. pp. 263-275.
© Copyright 1996 Tim Boekhout
van Solinge. All rights reserved.
L'héroïne, la cocaïne et le crack en France
Conclusions et résumé
Tim Boekhout van Solinge
- Conclusions générales
- Chapitre 1 : L'offre d'héroïne
- Chapitre 2 : La demande d'héroïne : les usagers
- Chapitre 3 : L'offre de cocaïne et de crack
- Chapitre 4 : La demande de cocaïne et de crack : les usagers
- Chapitre 5 : La loi de 1970 : répression et soins
- Chapitre 6 : Le système français d'aide aux toxicomanes
- Chapitre 7 : La politique de soins des années quatre-vingt-dix.
Conclusions générales
La France est confrontée à un grave problème en matière de drogue. Cela ne tient pas tant au nombre relativement élevé d'héroïnomanes -160.000 selon les estimations les plus basses -, mais surtout à l'approche française du problème de la drogue. La plupart des pays européens ont revu leur politique en matière de drogue dans les années quatre-vingt, lorsque le problème du sida a commencé à se manifester. L'usage intraveineux de drogue et le prêt de seringues entre les toxicomanes ont alors entraîné de graves risques de contamination. L'apparition du sida a incité la majorité des pays concernés à adopter une approche plus pragmatique de la drogue, avec l'adoption de mesures telles que l'échange des seringues usées contre des neuves et des programmes de méthadone.
La France a ignoré ces développements. On peut donc parler, à juste titre, d'une exception française. Jusque dans les années quatre-vingt-dix, elle s'est enferrée dans une politique que le sociologue Alain Ehrenberg a décrite comme le triangle d'or d'abstinence-désintoxication-éradication. Cette approche devait permettre de lutter contre l'usage de drogue et la toxicomanie, qui ne devaient être "acceptés" d'aucune manière. Dans cette optique, la distribution de méthadone et l'échange de seringues étaient alors considérés comme un signe de faiblesse, puisque ces mesures impliquaient qu'on cédait devant l'usage de drogue et la toxicomanie. Cette attitude revenait, en résumé, à jeter l'éponge. La commission Henrion, "commission de sages" qui s'est penchée pendant une année sur le problème de la drogue à la demande du gouvernement et a rendu son rapport en 1995, a résumé la politique française en matière de drogue comme "surtout ne rien faire pour faciliter la vie des toxicomanes".[270]
Les effets de la politique suivie sont désormais bien connus. A cet égard, le rapport Henrion parle d'une "catastrophe sanitaire et sociale". Une grande partie des usagers de drogue par voie intraveineuse sont porteurs de maladies infectieuses. Environ 30% des héroïnomanes sont séropositifs et 60% ont contracté une hépatite B ou C. De plus, beaucoup de toxicomanes occupent une position marginale, situation qui semble s'aggraver. Il faut ajouter que ces chiffres concernent seulement les usagers de drogue connus des services d'assistance. On estime que la moitié des toxicomanes échappe notamment à l'assistance et que ce sont justement les plus marginalisés qui doivent se passer de ce contact.
Quelles raisons la France avait-elle d'appliquer une telle politique ? La première doit être recherchée dans le système sanitaire français, qui est avant tout curatif et seulement préventif à une échelle limitée. Le risque est donc que des menaces éventuelles pour la santé publique ne peuvent pas être signalées à temps. Ce fut le cas de l"affaire du sang contaminé", au cours de laquelle un grand nombre d'hémophiles a reçu du sang contaminé par le virus du sida. De même, lorsqu'on s'est aperçu -trop tard- qu'un pourcentage élevé de toxicomanes était séropositif. Le problème était d'une ampleur telle qu'il constituait un danger pour la santé publique. Ce qui s'est alors passé en France est en fait imputable à l'absence de politique sanitaire dans ce pays. Depuis l'apparition du sida comme un problème de santé publique, ce fait a été reconnu à haute voix par les ministres et par le Haut comité de la santé publique.
Une seconde raison de la politique particulière suivie par la France est que depuis l'entrée en vigueur de la législation française sur les stupéfiants (en 1970), la politique en matière de drogue relève directement de l'autorité de l'Etat, qui a confié l'assistance aux toxicomanes à un groupe de spécialistes, composé en majorité de psychiatres : les intervenants en toxicomanie. Ces spécialistes n'ont pas vu l'intérêt de mesures de réduction des risques comme l'échange de seringues et la méthadone, qui à leurs yeux ne répondaient pas au problème profond (individuel) du toxicomane. Les intervenants en toxicomanie ont conservé le monopole de l'assistance aux toxicomanes jusque dans les années quatre-vingt-dix, sans avoir à redouter de concurrence notable de la part d'autres catégories professionnelles telles que les sociologues et les criminologues. C'est ce qui explique pourquoi, en France, l'accent a été mis sur une approche clinique de l'usage de drogue et de la toxicomanie.
Cette politique a subi un revirement dans les années quatre-vingt-dix. On s'est alors rendu compte des répercussions de la politique suivie jusqu'alors. En nombre absolu, la France comptait le plus grand nombre de victimes du sida de l'Union européenne, dont un large pourcentage résultait de l'usage intraveineux de drogue. On reconnut -officiellement- s'être trompé dans l'approche et on en conclut qu'une politique de réduction des risques était indispensable, sur quoi des programmes de méthadone et d'échange de seringues furent entamés. C'est au ministre de la Santé, Madame Simone Veil, et à son secrétaire d'Etat, Philippe Douste-Blazy, qu'on doit le lancement de cette politique. Il est toutefois bon de rappeler que ce n'est pas le gouvernement lui-même qui a pris cette initiative, mais que la décision politique en revient à un groupe de pression composé de différents mouvements en faveur d'une réduction des risques. Ces mouvements étaient regroupés dans une organisation de coordination intitulée "Limiter la casse".
Depuis l'arrivée au pouvoir du président Chirac et de son premier ministre Juppé, on assiste à une tendance légèrement différente. L'ambitieux programme du gouvernement précédent, en d'autres mots, arriver à une véritable politique de réduction des risques, c'est-à-dire rattraper le retard que la France connaît dans ce domaine, a été abandonné par les responsables actuels. Il est vrai que ces derniers n'ont pas officiellement opté pour une ligne de conduite différente, mais les problèmes budgétaires auxquels le gouvernement Juppé doit faire face empêchent d'élargir l'assistance comme cela avait été envisagé. De plus, le ministère de la Santé a désormais été ramené au statut de secrétariat d'Etat. Cela implique non seulement que le gouvernement accorde moins de priorité aux questions de santé que le cabinet précédent, mais aussi qu'il dispose de moins d'options que son prédécesseur pour adopter des mesures.
La France est peut-être officiellement passée à une politique en matière de drogue qui accorde une place plus importante à la réduction des risques, on peut se demander ce qu'il en adviendra dans la pratique. En effet, une approche basée sur la réduction des risques ne se limite pas seulement à élargir la prise en charge des toxicomanes. Le concept de réduction des risques, tel qu'il est aujourd'hui pratiqué en France, se résume seulement à quelques manifestations directes de cette approche, telles que les programmes de méthadone et l'échange de seringues, alors qu'une véritable politique de réduction des risques qui dépasse cette réduction "directe", va bien plus loin. Il existe en effet d'autres formes de réduction des risques : faire la distinction entre les drogues douces et les drogues dures, tolérer la vente de drogue pour usage individuel et maintenir les toxicomanes à l'écart de la police et de la Justice. En résumé, ces autres formes de réduction des risques relèvent des conditions dans lesquelles la drogue est consommée, avec acceptation de la consommation de drogue. Un premier pas dans cette voie pourrait être de dépénaliser l'usage de drogue.
La France se refuse pour le moment à discuter d'une telle éventualité. Il ne faut pas oublier que malgré le revirement officiel qui est apparu dans la politique, les notions "traditionnelles" liées à l'usage de drogue et à la toxicomanie subsistent en France. On en trouve même la trace dans un rapport plutôt favorable à la politique néerlandaise en matière de drogue, le rapport Ghysel.[271]
Ce n'est pas sans raison que ce rapport souligne que l'usage de certaines drogues dures est toléré dans plusieurs villes des Pays-Bas. Mis à part le fait que l'usage de drogue n'y est pas considéré comme un délit, ce qui est d'ailleurs le cas de la plupart des pays de l'Union européenne, une telle remarque montre bien que les Français arrivent encore difficilement à imaginer une politique qui accepte l'usage de drogue.
Il convient d'ajouter que c'est le ministère de l'Intérieur qui définit l'application finale de la politique en matière de drogue. Malgré le revirement officiel de cette politique, le nombre d'interpellations dues à des infractions à la législation française en matière de stupéfiants en 1995 continue à augmenter. On a enregistré l'année dernière quelque 70.000 interpellations de ce type (un nouveau record), concernant surtout l'interpellation d'un plus grand nombre d'usagers. Une approche axée sur une véritable réduction des risques semble difficilement compatible avec une telle politique de répression.
Le présent rapport contient un aperçu de la situation concernant l'héroïne, la cocaïne et le crack en France. Il traite en particulier du trafic et de la consommation des drogues en question, ainsi que de la politique appliquée dans ce domaine. Avec le rapport "Le cannabis en France", publié antérieurement, il offre un tableau clair de la situation de la drogue en France.
Les données contenues dans le présent rapport proviennent d'entretiens menés avec des intervenants en toxicomanie, tels que des médecins, des travailleurs sociaux, des scientifiques, des responsable de la police et de la Justice, et bien sûr des toxicomanes. A côté de ces entretiens, un travail intensif a été réalisé sur le terrain, sous forme de visites à la scène toxicomaniaque et aux quartiers défavorisés, principalement à Paris et dans la banlieue. La situation à Lille a également été étudiée dans le cadre de cette enquête. Outre les nombreux entretiens qui ont servi de base au présent rapport, nous avons utilisé la documentation disponible à ce sujet, notamment des livres, des articles de presse, etc.
Le présent rapport comprend deux volets. Le premier volet est consacré au "marché", c'est-à-dire à l'offre et à la demande en matière de drogue. Les deux premiers chapitres traitent de l'héroïne. Le premier évoque le trafic d'héroïne, aussi bien au niveau international (France) qu'en Europe. Le second chapitre étudiera l'aspect demande de l'héroïne, c'est à dire les usagers. Les chapitres trois et quatre seront respectivement consacrés à l'offre et à la demande de cocaïne et de crack : le chapitre trois à leur trafic en particulier, tandis que le chapitre quatre reproduira les connaissances dont la France dispose sur les usagers de ces substances.
Le second volet de notre rapport traite de la politique en matière de drogue. Le chapitre cinq précisera le contexte de la législation et son application. La méthode française d'assistance aux toxicomanes sera approfondie au chapitre six. Pour terminer, le chapitre sept décrira les lignes de la nouvelle politique des années quatre-vingt-dix, date à laquelle la France a opté pour une réduction des risques, comme nous l'avons fait remarquer plus haut.
Chapitre 1 : L'offre d'héroïne[272]
Ce chapitre présente un aperçu de l'aspect offre de l'héroïne : le trafic. Pour commencer, nous évoquerons les pays producteurs d'opium, matière première de l'héroïne et ses axes de pénétration en Europe. La majorité de l'héroïne qui circule sur le marché européen provient d'opium cultivé en Afghanistan. L'héroïne ou la morphine base transite ensuite par des pays comme le Pakistan, l'Iran et la Turquie avant d'arriver sur le marché européen. La Turquie joue un rôle-clé dans la distribution de l'héroïne vers l'Europe, non seulement grâce à la position particulièrement favorable dont ce pays jouit du point de vue géographique et de ses sphères d'influence à l'Est, mais aussi grâce à la diaspora turque disséminée dans toute l'Europe qui facilite l'acheminement des produits. Parmi les récents développements, on signalera la découverte en Turquie de laboratoires où la morphine base est transformée en héroïne.
La filière traditionnelle que l'héroïne emprunte entre l'Europe du Sud-Est et l'Europe de l'Ouest a été baptisée route des Balkans. Bien que cette filière continue à jouer un rôle important, les axes commerciaux se sont considérablement diversifiés depuis la guerre des Balkans et la disparition du rideau de fer. L'héroïne transite de façon croissante par l'Europe de l'Est. La Méditerranée représente aujourd'hui une autre voie d'accès.
Malgré la diversification des filières commerciales, la plus grande partie de l'héroïne continue à pénétrer en Europe de l'Ouest par la voie terrestre. Que ce soit par la traditionnelle route des Balkans ou par l'Europe de l'Est, l'Allemagne représente dans la plupart des cas la porte d'entrée de l'Union européenne. Cela explique pourquoi l'Allemagne totalise 30% des saisies d'héroïne de l'Union européenne.
Lorsqu'on prend l'héroïne saisie en France, on s'aperçoit qu'une part considérable et croissante de celle-ci provient des Pays-Bas. Malgré la gravité du sujet, il convient d'assortir les chiffres de certaines remarques. Il est étonnant de voir, par exemple, qu'on intercepte aussi peu d'héroïne en provenance de pays comme l'Allemagne, l'Italie, la Turquie et la Suisse. On présume donc que l'héroïne originaire des Pays-Bas est sur-représentée dans les statistiques françaises; cela pourrait signifier que les autres filières y sont sous-représentées. On peut également se demander si la quantité d'héroïne interceptée en France est si importante. Compte tenu de l'ampleur du marché français et en comparaison des saisies d'héroïne réalisées dans les autres (grands) pays d'Europe de l'Ouest, ces quantités sont en tout cas peu impressionnantes.
Le prix de l'héroïne en France est généralement élevé. Sur l'ensemble du pays, il tourne autour de 800 à 1.000 francs par gramme. L'héroïne proposée sur le marché est de mauvaise qualité. Différents échantillons prélevés à Paris indiquent un taux de pureté entre 5 et 20%. Dans le 18ème arrondissement de Paris, quartier qui compte une importante population de toxicomanes, ce taux dépasse rarement 10%, alors qu'un taux de 5% est courant. C'est ce qui ressort des nombreux entretiens menés avec les usagers, qui sont d'avis que la qualité n'a pas cessé de baisser ces dernières années.
A première vue, l'héroïne n'est pas facile à acheter en France. Cette notion est toutefois relative et dépend beaucoup de l'endroit où on la cherche. Contrairement aux Pays-Bas, la scène toxicomaniaque est généralement implantée en périphérie des villes, ce qui la rend nettement moins visible aux yeux des profanes. L'usager en quête d'héroïne saura, quant à lui, où la trouver. Il est très facile de trouver de l'héroïne dans certains quartiers, ainsi que dans plusieurs cafés de la région parisienne.
On assiste depuis quelques années à un nouveau phénomène, notamment qu'il est plus facile de trouver du crack que de l'héroïne. On ignore quelle est la cause précise de ce phénomène. Pour les dealers, il est en tout cas plus lucratif de vendre du crack que de l'héroïne. Le crack doit peut-être sa popularité à la mauvaise qualité de l'héroïne.
Chapitre 2 : La demande d'héroïne : les usagers
Ce chapitre dresse un tableau de ce qu'on sait des héroïnomanes en France. La prévalence de l'héroïne a tout d'abord été étudiée, à savoir les estimations concernant le nombre de toxicomanes.[273] Le manque de fiabilité des chiffres disponibles présente un problème. Cela est en partie dû au fait que la législation française sur les stupéfiants garantit l'anonymat aux personnes qui font appel au service d'assistance, ce qui empêche l'enregistrement des toxicomanes concernés. En conséquence, on ne sait pas qui se présente dans ces services et depuis combien de temps ces contacts existent. Le manque de données résulte aussi du fait que le problème de la toxicomanie n'a pas eu droit à une grande priorité au sein de la santé publique.
Des chiffres très variés circulent en France quant au nombre de toxicomanes, étant donné que la notion de "toxicomanes" n'est pas toujours claire. Deux estimations "officielles" ont été avancées au cours des dernières années. Selon la première, qui remonte à 1990, le nombre de toxicomanes (tous produits) est de l'ordre de 150.000 à 300.000. Ce chiffre s'applique aux personnes qui détournent les substances légales de leur usage, ou à celles qui ont régulièrement consommé des produits illicites au cours des derniers mois. (La nicotine et l'alcool ne sont pas pris en compte).
La seconde estimation date de 1995 et arrive à un nombre de 160.000 toxicomanes. Elle concerne (uniquement) les usagers d'héroïne et repose sur une estimation minimum du nombre d'héroïnomanes en contact avec les services d'assistance.
La marge d'erreur de ces estimations est élevée. Elles sont en effet basées sur une série de présomptions et d'extrapolations. Il faut ajouter que ces estimations concernent les toxicomanes qui font appel aux services d'assistance, alors qu'on ignore quel pourcentage de toxicomanes établit ce contact. Certaines sources d'information, dont des documents officiels, partent du principe qu'un toxicomane sur deux seulement s'adresse à ces services, ce qui pourrait impliquer un nombre de toxicomanes nettement plus élevé.
En France, l'héroïne est presque toujours consommée par voie intraveineuse; selon l'enquête annuelle de novembre, 87% des usagers se l'injectent. Tout comme ailleurs, la polyconsommation existe dans ce pays. La situation française se distingue par le fait qu'il est généralement assez facile de se procurer des médicaments, non seulement par le généraliste mais aussi dans la rue. Ainsi, on assiste fréquemment à une polyconsommation avec des opiacés comme le Rohypnol, le Temgésic et autres produits à base de buprénorphine. Il existe aussi une polyconsommation avec des produits à base de codéine, la plupart de ces médicaments étant délivrés sans ordonnance par les pharmacies. La plus connue de ces spécialités est le Néocodion, un médicament contre la toux, dont 11 millions de boîtes sont vendues chaque année, presque uniquement aux usagers d'opiacés.
L'âge moyen des héroïnomanes, tel qu'il ressort de certaines sources, est d'environ 27 ans. La moyenne d'âge présente certes une hausse depuis quelques années, mais elle est lente, ce qui traduit peut-être l'arrivée de jeunes toxicomanes.
On manque de données sûres (comme des statistiques) sur le contexte auquel appartiennent les toxicomanes, tel que l'origine ethnique, le milieu socio-économique, etc. Cela s'explique notamment par le fait que la législation française ne permet pas d'enregistrer séparément l'origine ethnique des usagers. Contrairement à ce qui se fait aux Pays-Bas, il n'est pas possible de calculer le pourcentage "d'allochtones" concerné en France. Seule la nationalité peut être définie : selon différentes sources, entre 65 et 90% des toxicomanes ont la nationalité française.
Les différences entre la France et les Pays-Bas ne tiennent pas seulement à la législation, il existe également des divergences d'opinion quant aux causes -possibles- du phénomène de la toxicomanie. Les Pays-Bas ont tendance à l'analyser sous un angle sociologique, c'est-à-dire en étudiant le contexte social dans lequel le phénomène apparaît. En France au contraire, l'accent est justement mis sur les facteurs individuels qui expliquent la toxicomanie. Cette différence tient au monopole que les psychiatres français ont longtemps occupé dans le domaine de l'assistance aux toxicomanes. Le principe en France est d'ailleurs que "la toxicomanie touche toutes les couches sociales". Bien que cela soit vrai, les sources disponibles semblent néanmoins indiquer que le problème de la toxicomanie concerne plus les quartiers défavorisés que les quartiers résidentiels.
La situation sanitaire d'un grand nombre de toxicomanes en France est précaire. Pour autant qu'on puisse se fier aux sources, une très grande part d'héroïnomanes souffre de maladies infectieuses. Entre 60 et 80% d'entre eux ont contracté une hépatite B ou C. Les cas de sida sont également très répandus. On ne dispose pas à cet égard de chiffres "solides", mais en se basant sur les différentes sources disponibles on peut estimer à 30% le pourcentage d'héroïnomanes séropositifs. Il convient de rappeler que l'héroïne est presque toujours consommée par voie intraveineuse en France.
L'état de santé précaire des toxicomanes se reflète également dans la hausse régulière du nombre de décès par overdose enregistrés au cours des dernières années. En 1994, on a recensé 564 cas de décès, dont l'overdose était la cause principale, mais de l'avis général le nombre réel d'overdoses dépasse les statistiques de la police. Cette donnée est confirmée par plusieurs études qui soulignent que le nombre d'overdoses suivies de décès est nettement sous-estimé dans ces statistiques. Le rapport Henrion indique que selon certaines sources 9% des décès dans l'agglomération parisienne sont imputables à une overdose dans la tranche d'âge de 20 à 34 ans, ce qui mettrait l'overdose au troisième rang des causes de décès dans cette même tranche d'âge, derrière le sida et le suicide.
Chapitre 3 : L'offre de cocaïne et de crack
Ce chapitre décrit l'aspect offre de la cocaïne et du crack en France. Il faut souligner que la France dispose de peu d'informations sur le sujet et que certaines données présentées ici -comme le trafic de crack- reposent seulement sur quelques bases sommaires. L'utilisation de telles sources risque d'entraîner une sous-représentation d'autres aspects moins apparents et moins bien documentés du phénomène. Quand on parle de trafic de crack en France, il est presque toujours question de la scène du crack implantée dans le Nord-Est de Paris et composée d'usagers (extrêmement) marginalisés. Les formes de trafic plus discrètes sont en effet mal connues. Le présent aperçu ne prétend donc pas décrire en détails le trafic de cocaïne et de crack, mais vise seulement à énumérer les données dont la France dispose à ce sujet.
Nous avons d'abord étudié le contexte de la fabrication et du trafic de cocaïne, avec présentation des chiffres relatifs aux saisies de cocaïne dans les pays de l'Union européenne, dont l'ampleur est frappante ces dernières années. En effet, les saisies de cocaïne représentent un multiple de celles d'héroïne. Alors qu'on avait intercepté 5.908 kilos d'héroïne en 1994, ce volume atteignait 28.968 kilos pour la cocaïne, soit presque le quintuple. C'est aux pays-Bas et en Espagne que les saisies sont les plus fréquentes ces dernières années.
En France aussi, les saisies sont en hausse depuis quelques années. 1994 s'est avérée être une année exceptionnelle avec 4.743 kilos, un volume qui dépasse le total des trois années précédentes. (Les Pays-Bas ont d'ailleurs brisé un record la même année en interceptant 8.200 kilos de cocaïne). Contrairement à l'héroïne, un pourcentage négligeable de cocaïne de provenance néerlandaise est saisi en France.
Une quantité croissante de crack est proposée sur le marché français depuis la fin des années quatre-vingt. Parti de Paris, ce phénomène s'est étendu en dehors de la capitale, bien que cette drogue se maintienne principalement à Paris. La station de métro Stalingrad est le centre traditionnel du trafic de crack, qui s'est également dispersé à la suite des opérations de nettoyage lancées par la police.
A l'origine, le trafic de crack était presque entièrement aux mains des Antillais (français), mais il a progressivement été repris par les Africains. Il arrive aujourd'hui qu'il est plus facile de se procurer du crack que de l'héroïne dans certains quartiers de Paris. On peut se demander si ce phénomène est imputable à la présence plus abondante de crack par rapport à l'héroïne, ou au fait que les dealers préfèrent se livrer au trafic plus lucratif du crack.
Chapitre 4 : La demande de cocaïne et de crack : les usagers
On trouvera dans ce chapitre un aperçu des données disponibles en France au sujet des usagers de cocaïne et de crack. Les sources manquent dans ce domaine et nos informations sont donc présentées avec une certaine réserve. On peut même se demander s'il est raisonnable de consacrer un chapitre à ce sujet en se basant sur ces rares sources, ainsi que sur nos observations personnelles et les entretiens que nous avons menés.
L'emploi de sources d'information maigres n'est pas sans danger. En effet, les données disponibles en matière d'usage de crack s'appliquent seulement à la scène marginalisée de Paris et ne tiennent pas compte d'une consommation moins visible et non-déviante. Le tableau ainsi obtenu risque d'être partial et erroné, et des conclusions éventuellement fausses seront peut-être liées à l'usage du crack. Comme nous l'avons montré au chapitre précédent, de nombreuses manifestations visibles de la consommation de crack (dans certains cas) sont souvent attribuées à ses propriétés pharmacologiques, au risque de négliger les usagers eux-mêmes (ou leur contexte).[274]
Ce chapitre se contente donc de présenter les données dont la France dispose sur la consommation de cocaïne et de crack, assorties des informations que nous avons collectées. Les sources françaises ont été présentées ici sans se demander si elles offraient un tableau fiable des usagers.
Il existe peu de données sur la consommation de cocaïne en France. Aucune étude de population n'a été réalisée et on doit se contenter d'une seule étude effectuée selon la méthode de "boule de neige". Il en ressort que les usagers en général vivent dans des conditions assez confortables et qu'ils connaissent peu de problème de santé.
Depuis la fin des années quatre-vingt, la consommation du crack est en hausse en France. Partie à l'origine de Paris, la consommation s'est lentement étendue, mais ce phénomène concerne surtout la capitale. Un "malentendu" sur le type de produit -les usagers ne savaient pas qu'ils prenaient du crack- a intensifié sa consommation. Alors qu'elle se limitait à l'origine aux Antillais (Français), elle a peu à peu englobé les usagers Africains. L'usage du crack, du moins sous sa forme visible, est longtemps resté un phénomène en majorité "noir".
Bien que la majorité des usagers soit composée d'Antillais et d'Africains, la consommation de crack s'est répandue pendant les années quatre-vingt-dix parmi d'autres groupes ethniques et d'autres types d'usagers, dont les héroïnomanes. Ces derniers, habitués à la consommation de drogue par voie intraveineuse, s'injectent même le crack alors que ce produit a été conçu pour être fumé. Les nouveaux usagers sont en majorité des (anciens) héroïnomanes, qui se convertissent entièrement ou partiellement au crack. Cela implique que le crack est désormais utilisé aussi par des Français d'origine et des Maghrébins. On estime à plusieurs milliers le nombre total d'usagers parisiens.
Différentes explications ont été avancées quant au passage de l'héroïne au crack, mais elles ont seulement un caractère provisoire. La popularité du crack serait due à la mauvaise qualité de l'héroïne proposée en France, une explication qui ne peut toutefois pas être confirmée. Il pourrait s'agir aussi d'une mode.
Ce qui est certain, c'est que la consommation problématique de crack est étroitement liée à la marginalisation. Il s'agit d'ailleurs d'une différence majeure entre les usagers "classiques" de cocaïne et les usagers de crack. Les données relatives au milieu du crack à Paris montrent que ce phénomène se déroule en marge de la société et qu'il concerne en quelque sorte un milieu souterrain, actif surtout la nuit. Les toxicomanes qui atterrissent dans ce milieu étaient pour la plupart déjà marginalisés, une situation qui s'est aggravée dès qu'ils ont touché au crack. La description d'Ingold & Toussirt présentée plus haut en dit long : en l'espace d'un mois, on voit l'usager sombrer vers une dépendance totale accompagnée des symptômes suivants : amaigrissement, pâleur, épuisement et état de confusion. Une fois de plus, cette dégradation n'est pas imputable au produit seul, mais il convient de prendre aussi en considération le contexte auquel appartient le toxicomane.Chapitre 5 : La loi de 1970 : répression et soins
Le présent chapitre offre un aperçu de la législation française en matière de stupéfiants. L'objectif de cette loi était double : répression, lutte contre le trafic et l'usage de drogue d'une part, soins aux toxicomanes d'autre part.
La loi française datant de 1970 est sévère : tout usage de drogue est considéré comme un délit. Son contexte doit être recherché dans les mouvements étudiants et les manifestations de la fin des années soixante, symbolisées par Mai 68. A l'époque, les usagers de drogue étaient surtout des jeunes et cette consommation était considérée comme un comportement réactionnaire et déviant contre lequel il fallait sévir.
L'usage de drogue est certes considéré comme un délit, mais le toxicomane peut échapper à des poursuites en suivant un traitement, l'injonction thérapeutique. Ce procédé n'a pas donné les résultats escomptés, ce qui résulte notamment de la mauvaise collaboration entre la Justice et les services d'assistance. D'une part trop peu d'injonctions thérapeutiques ont été prononcées, d'autre part elles ont parfois seulement été prononcées pour la forme. En outre, ce sont les conditions locales qui déterminent la politique employée dans la pratique. Il s'avère ainsi que certains départements n'appliquent pas du tout l'injonction thérapeutique.
La législation officielle sur les stupéfiants -la loi et les circulaires émanant de la Justice- visent en principe à ne pas poursuivre les usagers. Les circulaires recommandent, dans le cas du cannabis, de se limiter à un avertissement, réservant l'injonction thérapeutique aux usagers d'héroïne et de cocaïne. On pourrait donc avoir l'impression que l'usage de drogue ne bénéficie pas de la priorité en matière de recherche. Les statistiques de la police montrent que c'est loin d'être le cas : les trois quarts des interpellations pour infraction à la loi sur les stupéfiants concernent des usagers de drogue. En 1994, on a compté 44.000 interpellations d'usagers sur un total de 60.000 interpellations liées à la drogue. Les deux tiers des (44.000) usagers arrêtés étaient des fumeurs de cannabis.
Une interpellation liée à la drogue ne donne pas toujours lieu à des poursuites. On raconte que les toxicomanes qui n'ont commis aucun autre délit, ne sont pas condamnés. Les chiffres de 1991 montrent également qu'au cours de l'année, plus de 4.000 condamnations ont été prononcées pour usage de drogue. Dans les deux tiers des cas, la peine de prison avait été prononcée, mais elle n'avait pas toujours été subie. Au 1er janvier 1994, 168 usagers étaient détenus en prison pour usage de drogue.
La combinaison soins-répression s'avère difficile à mettre en pratique. En France, l'accent est souvent mis sur la répression; ainsi, la présence de la police peut, dans certains cas, empêcher les usagers de s'adresser aux services de soins.
Chapitre 6 : Le système français d'aide aux toxicomanes
Le présent chapitre dresse un tableau des avis qui ont longtemps dominé le débat sur la drogue en France. Les psychiatres français ont joué un rôle prépondérant à cet égard. En effet, après l'entrée en vigueur de la loi de 1970 sur les stupéfiants, le gouvernement a quasiment confié aux psychiatres l'aide aux toxicomanes. En conséquence, l'accent a longtemps porté en France sur une approche clinique de l'usage de drogue. Le système français d'assistance, qui comporte une profonde composante analytique, recherchait les causes de l'usage de drogue surtout au niveau de l'individu. La "transgression" constitue le mot-clé de ce système. L'usage de drogue est considéré comme la violation d'une loi ou d'une norme civile et donc comme un signal que la vie du toxicomane n'est pas suffisamment structurée. En tout cas, le système français a tenu en premier lieu compte des problèmes individuels du toxicomane, et non pas du contexte social au sens plus large du terme.
Le fait que cette vision de la toxicomanie a longtemps prévalu en France et que, contrairement à la majorité des autres pays, elle n'a pas vraiment été concurrencée par d'autres optiques en matière d'usage de drogue et de toxicomanie, explique notamment pourquoi la France a adopté avec autant de retard une politique de réduction des risques. Les psychiatres français y étaient en effet opposés. Aux yeux de ceux qui étaient chargés de l'aide aux toxicomanes, la distribution de méthadone était un signe de faiblesse qui négligeait le coeur du problème. Pour la même raison, ils s'opposaient à l'échange de seringues et à leur vente libre en pharmacie : il est incohérent d'interdire la drogue et en même temps de permettre de se l'injecter en vendant des seringues.[275]
Mis à part le fait que cette vision s'est maintenue jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, il convient d'y ajouter l'absence d'une bonne politique sanitaire en France. Les risques de contamination par le sida et d'usage de drogue par voie intraveineuse ont alors été gravement sous-estimés ou ignorés, de sorte que la nécessité de mettre en place des échanges de seringues et des programmes de méthadone n'a pas été reconnue non plus.
Le monopole des psychiatres dans le domaine de l'aide aux toxicomanes explique également pourquoi la relation entre la toxicomanie et le contexte socio-économique n'a pas été suffisamment envisagée. En effet, le système clinique français réduisait l'usage problématique de drogue aux problèmes de l'individu. Une telle vision peut sembler très étrange à une personne qui vient des Pays-Bas, où les sociologues s'intéressent depuis longtemps à la toxicomanie. La situation dans les quartiers défavorisés et les banlieues de villes comme Paris et Lille montre bien qu'il existe une relation manifeste entre l'usage problématique de drogue et les conditions socio-économiques. M. Godelle, directeur de l'association Itinéraires active dans les quartiers défavorisés de Lille, a déclaré qu'il avait eu beaucoup de mal à convaincre les responsables que la situation à Lille était bien plus qu'une accumulation de problèmes individuels, et que les toxicomanes n'avaient peut-être pas toujours automatiquement besoin d'un psychiatre.
Les raisons invoquées en France pour expliquer le phénomène de la toxicomanie semblent largement dépassées. Ce n'est pas pour rien que le rapport Henrion conclut en ce qui concerne la politique en matière de drogue que le système est peu innovant et que ses innovations sont toujours marginales et appliquées avec beaucoup de mal.[276] On est en quelque sorte resté figé sur des méthodes datant des années soixante-dix, époque à laquelle le phénomène pouvait peut-être justifier en partie ces méthodes. Le problème de la toxicomanie, tel qu'il se manifeste aujourd'hui dans la France des années quatre-vingt-dix, relève bien moins de troubles d'origine juvénile que des conditions socio-économiques et de la situation dénuée d'avenir dans laquelle les jeunes grandissent. La misère sociale qu'ils connaissent engendre en réalité un marché potentiel pour un euphorisant comme l'héroïne.
Les années quatre-vingt-dix devaient voir la naissance d'une approche plus sociologique du problème de la toxicomanie en France. Elle a permis de passer finalement à une politique composée de mesures préventives, dont les programmes de méthadone et l'échange de seringues. Un passage officiel a eu lieu vers une politique de réduction des risques.
Chapitre 7 : La politique de soins des années quatre-vingt-dix.
Dans les années quatre-vingt-dix, la France commence à revoir sa politique en matière de drogue. Un revirement apparaît, mettant ainsi fin à une politique qu'Alain Ehrenberg avait qualifiée de triangle d'or "abstinence-désintoxication-éradication".[277] En 1993, et surtout en 1994, le gouvernement français est officiellement passé à une politique de réduction des risques.
Le fait que la France soit finalement passée à des programmes de substitution n'est pas tant imputable aux spécialistes (les psychiatres) chargés depuis des années de l'aide aux toxicomanes. Le gouvernement n'en est pas non plus responsable, même si certains hommes politiques ont joué un rôle prépondérant dans ce domaine. Ce revirement incombe beaucoup plus aux nouveaux mouvements qui sont intervenus dans l'aide aux toxicomanes. Qualifiés au départ de "militants, ces mouvements ont finalement atteint leurs objectifs."
Un nouveau mouvement, composé de différentes associations en faveur d'une politique de réduction des risques et rassemblé sous l'égide de "Limiter la casse" apparut d'un côté. De l'autre, certains généralistes "dévoués" se mirent de leur propre initiative et à contre-courant, à prescrire des médicaments, en l'absence de produits de substitution légaux comme la méthadone. Le plus connu de ces praticiens était Jean Carpentier. Il s'attaqua au problème et prescrit à ses patients des opiacés en invoquant son devoir de médecin d'aider les toxicomanes. Carpentier n'était pas le seul à le faire, mais c'est un des rares médecins à avoir poursuivi cette pratique lorsque le Conseil national de l'Ordre des médecins a imposé des restrictions à la délivrance de tels produits aux toxicomanes. Jean Carpentier et les autres médecins "militants" furent vilipendés par leurs confrères et accusés d'être des "dealers en blouse blanche". Le Conseil national de l'Ordre des médecins priva pendant un mois Carpentier et ses collègues de leur droit d'exercer la médecine pour prescription non-réglementaire d'opiacés.
Les défenseurs de la prescription d'opiacés aux toxicomanes semblent avoir gagné la bataille. Le gouvernement Balladur, sous l'égide de Simone Veil et de son secrétaire d'Etat Douste-Blazy, a entamé des mesures de réduction des risques. Le nombre de places de méthadone est passé de 52 en 1993, à 525 en 1994 et à plus de 1.000 en 1995.
A la méthadone est venu s'ajouter le Subutex (buprénorphine à haute dose), destiné à mettre fin à la prescription illégale d'opiacés aux toxicomanes. Le Subutex peut désormais être prescrit par n'importe quel médecin. Le patient peut ensuite acheter le médicament en pharmacie et bénéficier d'un remboursement de 65% des frais. La méthadone au contraire ne peut pas être prescrite par le généraliste. Sa distribution aux usagers d'opiacés est réservée dans un premier temps aux centres spécialisés. Si l'état du patient reste entièrement stable (au niveau personnel, social et thérapeutique) après plusieurs mois de traitement, le patient pourra, à sa demande et à celle du médecin traitant, être adressé à un généraliste. Un contrat sera alors établi avec ce généraliste pour définir notamment la pharmacie chargée de délivrer la méthadone, qui est également remboursée à 65% par la sécurité sociale.
Les médecins généralistes occuperont une position prépondérante dans la prescription des produits de substitution. On note le rôle significatif de pionnier que la Mutualité française a joué dans ce domaine. Bien que l'intervention croissante des généralistes doive être considérée comme un élément positif, cette politique pose également des problèmes. Cela est dû principalement au nombre encore insuffisant de centres spécialisés et au fait qu'ils sont débordés. Le toxicomane qui désire être soigné à la méthadone doit d'abord suivre pendant plusieurs mois un traitement dans un centre spécialisé. Les listes d'attente de ces centres sont longues, de sorte qu'un délai important s'écoulera avant que tous les intéressés aient vraiment droit à un traitement à la méthadone. On peut donc se demander comment les autorités prévoient d'atteindre le chiffre de 45.000 toxicomanes aux opiacés qui devraient bénéficier d'un traitement de substitution, objectif inscrit dans le programme gouvernemental de septembre 1995. Les moyens financiers nécessaires à cet effet n'ont d'ailleurs pas non plus été débloqués.